« Dans tous nos actes la part de l’inconscient est immense et celle de la raison très petite… Les idées du passé, bien qu’à demi détruites, étant très puissantes encore et les idées qui doivent les remplacer n’étant qu’en voie de formation, l’âge moderne représente une période de transition et d’anarchie » (Gustave Le Bon, « La psychologie des foules »).
Le sort des idées neuves c’est de changer le monde en changeant les anciennes idées des hommes, les idées qui ne marchent plus, qui n’engendrent plus de réalités sociales positives et qui peuvent même devenir criminelles entre certaines mains ou suicidaires entre d’autres.
Nous voyons bien que c’est le cas de l’islam. Il n’a plus rien inscrit à son actif en matière de science et de connaissances depuis cinq ou six siècles, et on meurt et tue en son nom pour rien. D’un côté il ne veut pas être une religion seulement, de l’autre il est incapable d’être un ordre social, économique et politique achevé.
Des idées nouvelles doivent germer et essaimer dans le monde musulman en dépit de ce qui s’y passe. Surtout en raison de ce qui s’y passe. Aujourd’hui plus que jamais.
Celle de la réforme en est une, mais elle n’est pas si neuve que ça puisque le Prophète y pensait avant même la fin de sa mission. Elle ne s’est pas réalisée parce qu’elle n’a pas trouvé le chemin qui mène au but. Ceux qui la reprirent aux XIXe et XXe siècles la comprenaient comme l’avait comprise Ibn Taimiya sept siècles avant eux. Quant à ceux qui en parlent de nos jours, ils penchent vers un laïcisme qui a été éprouvé officiellement en Turquie et en Iran, et officieusement en Tunisie, Irak, Syrie, Libye, etc. En vain.
Les musulmans ne sortiront pas de l’anarchie mentale dans laquelle ils se trouvent du fait de l’islamisme et du terrorisme comme ils y sont entrés. Ils en sortiront politiquement et géographiquement en lambeaux et seront contraints soit d’abandonner l’islam à la furie destructrice de l’ignorance et de la barbarie, soit de le réformer pour qu’il se mette en conformité avec les règles de coexistence entre les différents peuples, civilisations, religions, philosophies et cultures de la planète. Plutôt que de sombrer définitivement corps et bien dans l’anarchie, ils pourront alors contribuer à la transition du monde vers la civilisation universelle.
L’idée de réformer l’islam est ancienne puisqu’elle remonte au Prophète lui-même qui, alors que la Révélation du Coran n’était pas terminée, a prédit que Dieu enverrait à sa communauté au début de chaque siècle « quelqu’unqui réformera sa religion». Il a bien parlé de RENOVER L’ISLAM, sens de la phrase en arabe, et non, comme Ibn Taimiya plus tard, d’« islah ar-ra’î wa-r-ra’iya » (réformer gouverneurs et gouvernés).
Et le jour où la Révélation prit fin (théoriquement) avec le verset « Aujourd’hui j’ai parachevé pour vous votre religion, vous ai comblé de mon bienfait et agréé l’islam comme religion pour vous », le Prophète confia à Omar ces mystérieuses paroles : « L’islam reviendra étranger comme il est venu étranger la première fois ; heureux soient les étrangers ».
J’ai suggéré une exégèse de cette parole : l’islam s’étant présenté la première fois comme une rénovation radicale des valeurs de l’humanité, ce n’est qu’à la condition de se réformer qu’il reviendra à l’Histoire. De quelle manière ? Là est l’inconnue. L’ère de la prophétie et des miracles étant close et l’islam ayant éclaté en une cinquantaine de pays, il reste deux possibilités : que le projet soit pris en charge par les Etats-membres de l’Organisation de la coopération Islamique (OCI), ou qu’une une décision émanant de la communauté internationale les y contraigne.
Malgré son ancienneté et l’estampillage prophétique dont elle est revêtue, l’idée de rénover l’islam s’est traduite chaque fois qu’il en a été question par davantage de repli, de conservatisme et de conformisme car tout le monde avait compris par « retourner aux sources » un retour en arrière alors que pour réformer, rénover, il faut se projeter en avant, chercher dans les profondeurs non sondées de l’islam une nouvelle source d’inspiration, et desserrer l’étau du « ilm» classique sur l’esprit musulman afin qu’il respire l’air de son temps et se rafraîchisse avec des idées nouvelles.
La vie que mènent de nos jours les êtres humains avec ses avantages et ses merveilles de toute sorte est le résultat d’idées neuves que des hommes ont eues un jour ou l’autre, ici ou là, et que leurs contemporains ont commencé par rejeter ou combattre avant de reconnaître leur utilité et de les adopter pour leur bien. Sur la centaine milliards d’êtres humains qui ont habité la Terre et les sept milliards qui en restent, seuls les noms de 25.000 d’entre eux environ figurent dans les dictionnaires, y compris ceux de personnages qui n’ont pas œuvré au bonheur de l’humanité mais à son malheur : despotes, criminels, fanatiques et autres esprits maléfiques.
Sans idées neuves, sans représentation périodique des choses sous un angle nouveau, l’homme serait encore à l’âge de la chasse et de la cueillette ou, au mieux, au moyen-âge. A cause du non-renouvellement de l’ancien savoir religieux, l’islam tend naturellement à devenir une source de blocage interne et de discrédit externe. Ce « ilm » qui n’était pas censé incarner l’islam éternel mais une adaptation du Coran à la vie humaine pour une durée déterminée, durée qui tire visiblement à sa fin, a fait son temps.
Il n’est plus qu’un catalogue d’idées mortes et d’idées mortelles, une «archéologie » selon une image de Bennabi. Il est devenu une entrave au développement, au savoir, à la liberté, à l’intelligence, au bien, au vrai et au beau. Il apparaitra bientôt, par son inadaptation et son anachronisme, comme une synthèse du faux, du laid et du mal.
Les musulmans vivent à l’âge des nanosciences avec les idées d’Abou Hurayra. Ils ont le choix entre une extinction civilisationnelle lente mais sûre, et une révolution mentale extrêmement difficile mais porteuse d’avenir.
Partout dans le monde où existent des groupes humains soucieux de progrès, de paix, d’harmonie sociale, de respect des droits de l’homme, c’est la culture sociale, l’art de vivre ensemble et le savoir scientifique qui sont propagés, enseignés, vulgarisés, et non la culture religieuse de la mort, des souffrances tombales et de la haine des autres. Aucun peuple n’a avancé en apprenant à ses enfants qu’il faut suivre les Anciens parce qu’ils étaient proches de Shiva, Moïse, Confucius, Bouddha, Jésus ou quelque autre grande figure de l’histoire humaine, les vénérer, penser et agir à leur instar dans le présent et l’avenir, et s’en tenir aux strictes interprétations qu’ils ont données de textes sacrés ou humains à l’aube des temps.
Ce sont les livres religieux qui se vendent le mieux dans les pays musulmans car ils déchargent les hommes et les femmes de la tâche de réfléchir, de prendre des décisions dans leur vie et donc leurs responsabilités. Ils leur apprennent pourquoi et comment il faut obéir à Dieu, au Prophète, aux détenteurs du pouvoir (waliy-al-amr), aux compagnons du Prophète, à leurs successeurs, aux successeurs de leurs successeurs, aux « héritiers des prophètes » (les ulémas), à l’imam de mosquée, aux cheikhs idéologues reconnus et aux « dou’âte » (prédicateurs) célèbres…
Ils leur parlent de leurs voisins invisibles, les djinns, de leur intrusion dans leurs vies, leurs actes et décisions, des châtiments corporels qui les attendent s’ils n’appliquent pas les pieux enseignements et leur dictent ce qu’ils doivent faire : prier, pratiquer, se repentir des mauvais actes et des mauvaises pensées, pleurer souvent… Et, en guise de récompense, les choses qui leur sont interdites ici-bas leur seront permises à profusion dans l’au-delà.
Le musulman issu de ce conditionnement, de ce formatage, de ce lavage de cerveau, est programmé pour s’inquiéter de son salut individuel sur terre et au ciel. On ne lui enseigne pas la sociabilité, la vie en commun, les devoirs collectifs, le bien public, le respect des autres, quels qu’ils soient, mais les rites qui rapprochent de Dieu et les actes qui rapportent des « haçanate ». Si on ne veut pas ou ne peut pas lire ces livres, leur contenu, leurs conseils et leurs consignes nous sont gratuitement livrés à domicile, débités sur des centaines de chaînes de télévision par des personnages effrayants, tonitruants et ignorants.
Comment espérer voir sortir de cette culture de la mort, de ce terrorisme verbal, moral, psychique, intellectuel, mental, social, physique et politique un être normal, un homme équilibré, un citoyen acquis à l’idée de bien public, un prototype humain fonctionnant à l’unisson des autres ?
L’homme qui en sort ignore le respect de la diversité religieuse, tient les autres religions pour des déviations, refuse la notion de réciprocité sur laquelle repose la coexistence pacifique entre les nations et ne croit pas au droit international en dehors des dispositions qui lui profitent à lui. Avec cette brève description de l’art de fabriquer une vision du monde décalée, déphasée, schizophrénique et hypocrite, nous venons d’indiquer les domaines où doit être portée la réforme.
Il y a tant de choses à savoir et qu’on ne connaît pas que notre vie ne suffirait pas pour emmagasiner le savoir nécessaire à la compréhension du monde et de la réalité dans laquelle nous sommes plongés. Les neurosciences par exemple nous apprennent que notre cerveau qui ne pèse que 2% de notre poids mobilise 20% de notre consommation énergétique pour faire fonctionner la centaine de milliards de neurones qui le composent et les millions de milliards de synapses qui relient ces cellules nerveuses entre elles. Faute de stimulation, d’émulation, de challenge, de problèmes sur lesquels réfléchir, l’intelligence dépérit, s’étiole dans l’inactivité, le suivisme improductif, le mimétisme stérile. On appelle ce phénomène « l’effet Flynn », mesuré par la stagnation ou la régression du QI. Ce sont ces ravages que provoque le « ilm al-kadim » dans le cerveau des musulmans. Il incite à l’immobilisme, produit la rigidité, alors que le cerveau vit de sa « plasticité synaptique », du flux de nouvelles informations et d’idées neuves à traiter en continu.
Une autre science en formation, l’épigénétique (dont s’occupe notamment la savante algérienne Maya Ameyer qui lui dédié un groupe facebook) étudie l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes. Qu’est-ce que c’est ? « Si l’ADN est le texte, l’épigénétique en est la ponctuation » disent les généticiens. Tout simplement dit, cela signifie qu’un corps, un cerveau plongé dans un milieu social et intellectuel où prévalent des idées données verra ses gènes subir les influences provenant de l’extérieur, des idées courantes portées par la société, qu’elles soient tournées vers le passé ou vers l’avenir.
Il faut savoir – en liaison avec l’idée que les fonctions cérébrales se rétractent, perdent en rendement dans certaines conditions – que le « ilm al-kadim» est un gaspillage de nos moyens mnésiques, de nos capacités mnémotechniques, des espaces de stockage dans notre mémoire, dans la zone de notre cerveau qui conserve l’information. En tant que capital-idées périmées, qu’informations révolues qui continuent à occuper une place qui pourrait être dédiée à des connaissances utiles à nos besoins d’adaptation à la vie en constante évolution.
L’essentiel à connaître de la religion peut être traité d’une manière nouvelle, actualisée et connectée au réseau du savoir moderne dont la vocation est d’aider à s’orienter dans la vie et à faire face à l’avenir. C’est donc tout le logiciel musulman, l’information qu’il renferme, qu’il faut vérifier, élaguer de ce qui est devenu inutile et valoriser ce qui peut encore servir. A quoi bon connaître par cœur des hadiths, dont beaucoup sont faux, des rivières de poèmes ou collectionner des histoires révolues ?
L’information issue du « ilm al-kadim » est devenue inopérante car on peut être un musulman accomplissant intégralement ses obligations sans avoir besoin de s’embarrasser de « ilm inutile » selon le mot du Prophète. Braqué, bloqué sur le passé, il agit comme le puisatier tirant de l’eau d’un puits en voie d’épuisement : il jette son seau et le remonte des profondeurs avec ce dont il s’est rempli : eau potable et non potable, bon et mauvais, vrai et faux, vital et mortel…
L’intelligence a besoin d’être stimulée par le nouveau, des équations à plusieurs inconnus à résoudre, des mystères cosmiques ou quantiques à élucider dans l’univers, dans l’Histoire humaine, en nous-mêmes, dans notre code génétique…
La science se remet en cause à tous les instants, et c’est sa plus haute vertu, tandis que le « ilm » prétend être la vérité en soi, et c’est son plus grand défaut. Il y a tant à faire dans le monde et au cours de sa propre vie alors que tout ce qu’il propose c’est d’avoir un madhhab (école doctrinale), un cheikh à aduler, un da’iya (prédicateur) à suivre et des milliers de pages à apprendre. Comme si Dieu n’aimait pas le progrès, la technologie, le numérique et internet qui est un véritable « kun fa yakun » (Fiat lux)…
La science a mis en équation puis résumé en lois ce que le Coran appelle « sunan Allah », les « lois invariables » de Dieu, ses modes d’intervention dans l’univers et en nous. Les lois de la nature ont été conçues par Dieu puis découvertes et reproduites à petite échelle par l’homme pour son bien. Dieu utilise des matériaux, les particules élémentaires et les atomes à partir desquels toute matière vivante ou inerte a été faite. La science n’en est plus à soutenir l’inexistence de la conscience et de l’âme, elle les traque dans l’infiniment petit, dans l’intrication quantique, dans l’interdépendance du corps et de la conscience. Elle sait qu’un lien existe entre les deux et que la conscience influence la matière. La physique est en passe de le prouver à travers l’étude du comportement des particules élémentaires.
J’ai lu un jour un roman scientifique, « La formule de Dieu », et été étonné tout autant qu’outré de trouver le point de vue du christianisme, du judaïsme, de l’hindouisme, du bouddhisme et des sciences modernes sur l’univers, mais pas celui de l’islam alors que l’un des deux principaux personnages du roman est une musulmane, physicienne de surcroit. Pourquoi ce parti-pris de la part de l’auteur portugais alors qu’aucun texte sacré ne présente autant de prodigieuses coïncidences avec la science que le Coran ? L’auteur ne lui pas donné la parole sur la vision islamique de l’univers, mais juste sur la condition de la femme en Iran.
Il n’y a pas dans le monde actuel de peuple plus attaché que les Arabes au passé. La Grèce qui a donné au monde la science, les mathématiques, la philosophie, les sports, et dont les penseurs de l’Antiquité sont encore enseignés dans les universités du monde entier ne rêve plus pour autant de sa grandeur passée. Elle se débat dans des drames prosaïques sans déranger les dieux de l’Olympe ou se lamenter sur l’ingratitude de l’Europe envers sa mère sans laquelle elle ne serait qu’un terrain vague peuplé de hordes de SDF. Les Romains non plus, ni la Chine, ni les Mayas, ni les Aztèques, ni les Mongols. Un peu les Berbères, mais je crois que c’est pour rivaliser avec les Arabes qu’ils n’aiment plus beaucoup à cause des ravages de l’islamisme.
L’islam n’a pas créé les civilisations qui ont concouru à sa prospérité et à son développement scientifique et technique à travers l’histoire (Assyriens, Mésopotamiens, Egyptiens, Hittites, Perses, Grecs, Juifs, araméens, Chrétiens, Berbères, Indiens, Chinois…), elles étaient là des millénaires ou des siècles avant lui et ont réalisé des prouesses fabuleuses dont il a tiré profit. En gagnant l’esprit et le cœur de leurs habitants qui ont trouvé en lui un cadre moral et spirituel plus incitatif et performant que leurs anciennes croyances et schèmes de vie, il les a exaltés et ils l’ont, en retour, honoré de leur intelligence et de leurs découvertes.
La principale caractéristique historique de l’islam est d’avoir été pour des peuples divers un éveilleur, un stimulant, un énergisant, un catalyseur, un rassembleur, un fédérateur dans les domaines spirituel, intellectuel, culturel, économique et politique. Comme le seront après lui les Etats-Unis d’Amérique pour des dizaines de millions d’êtres humains aux XIXe et XXe siècle : une terre de tolérance religieuse, de liberté d’entreprendre, d’égalité des chances, d’inventivité et de « melting pot », y compris pour les musulmans qui y vivent par millions.
Avec la formation d’une classe sociale religieuse instrumentalisée par des pouvoirs despotiques, l’islam a progressivement perdu ses avantages comparatifs et sa religion est devenue un véritable « opium du peuple » selon l’expression de Karl Marx. Le « ilm al-kadim » (vieux savoir religieux) prit petit à petit la place du Coran qui, d’éternel, devint lié à une conjoncture dépassée et fut enseveli sous des interprétations vieillies, démenties par le progrès, ridicules et contraires aux finalités de « makacid al-khalq » (les finalités de la Création).
Pauvre en informations sur l’avenir, le savoir religieux incite les musulmans naïfs qui ont besoin d’être assistés mentalement à s’inspirer du « salaf », de prédécesseurs qui ont vécu il y a quatorze siècles. Il n’est question que d’eux, tous les jours, dans toutes les mosquées, sur toutes les chaînes, sans que quelque chose n’arrive, ne change, ne bouge ou ne s’améliore dans la réalité. Seul le visage du discoureur change. Pourquoi ? Jusqu’à quand ? N’est-ce pas de la folie ou une sinistre comédie pour attardés mentaux ?
Le salafisme peut être médicalement défini comme le symptôme de la perte du sens de l’orientation, une maladie qui fait confondre l’avant et l’arrière, le passé et l’avenir, ici-bas et au-delà, terre et ciel, ce qui est mort et ce qui est encore vivant. Il a trouvé à s’affirmer par la violence des armes dans les pays désarticulés qu’on lui a concédés en vertu d’une stratégie dont on ne connaît pas les motivations mais qui n’en existe pas moins (Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Yémen) ou par la violence du verbe dans les régions, quartiers et espaces médiatiques que des Etats craintifs lui abandonnent (Pakistan, Liban, Algérie, Nigeria…)
Les musulmans ont passé plus de siècles dans la décadence et sous domination étrangère que dans leur propre civilisation. Il s’est écoulé 1436 ans (en fait 1448) depuis l’apparition de l’islam, mais les musulmans d’aujourd’hui raisonnent, vivent, s’habillent et parlent comme les musulmans du début de la décadence. Le décorum international a certes changé mais l’homme et l’âme sont les mêmes. L’abstrait est plus fort que le concret, la promesse que la réalité, l’éternité hypothétique que la chronologie de l’histoire et, dans leurs échanges, « deux tu l’auras » vaut mieux qu’ « un tiens ».
Le temps n’ayant aucune valeur pour eux, le lointain passé ne différant pas beaucoup du présent, la volonté de l’homme continue de s’annihiler devant celle de Dieu, rendant inutile la prévision, la planification et la projection dans le futur. En dehors des changements dus à la technologie occidentale qui n’ont aucunement modifié leurs structures mentales et culturelles, ils rêvent de reconquérir l’Andalousie, Jérusalem ou Samarkand mais pas d’autres terres, les leurs en les fertilisant, le futur ou l’espace.
Ils ne savent rien de la révolution agricole, celle du néolithique, du XVIIIe ou du XXe siècle ; rien de la révolution industrielle du XIXe siècle ou de la révolution numérique et des nanosciences du XXIe. Ils ont atterri en plein XXe siècle, ont été soulevés par les geysers de pétrole et se sont retrouvé à la tête de fortunes colossales sans avoir rien fait de notable ou d’utile pour gagner autant d’argent. Quand il sera temps, quand la manne se sera épuisée, ils retourneront au sable sans grande peine, sans regrets, confiants en la Providence et résignés à ses revers.
Ils n’ont pas été exploités comme force de travail, conditionnés par le taylorisme, épuisés par les luttes syndicales ou les antagonismes de classe, socialisés pour être utiles les uns aux autres et, à partir de là, apprendre la valeur de la vie humaine. Ils n’ont jamais cherché à maîtriser la nature ou été poussés à découvrir de nouvelles techniques de travail et d’amélioration des rendements car vivant de rien et n’espérant rien en dehors du Ciel.
Le bédouin est un homme libre, il rêve de plus haut, de plus loin que l’histoire et c’est pourquoi il ne la fait pas ; les défis naturels le laissent froid, il les regarde puis les contourne, allant chercher sa tranquillité ailleurs, là où il n’y a pas grand-chose à faire. Il n’a cure de l’état de la couche d’ozone, des problèmes d’environnement, de la famine qui décime des peuples, il surveille la femme, les mœurs, l’habit conforme et cherche le diable dans chaque détail… Il ne crée ni ne transforme, se contentant d’échanger ce qu’il a contre ce qu’il n’a pas, et s’il n’a rien il se contentera du lait de chamelle. Il n’a pas besoin d’arts, de culture, de musique, de cinéma, la poésie du désert lui suffisant.
Son imagination est toute tendue vers les descriptions ensorcelantes du paradis, les fureurs terrifiantes de l’enfer, la crainte irrationnelle des djinns et l’attrait mystique des miracles. Il n’a pas de préoccupations géostratégiques en dehors de la jalousie et de la rivalité avec les autres, ses frères et ses coreligionnaires en particulier. Rentiers du pétrole, rentiers de la religion…
Pour changer les musulmans, il faut changer les Arabes. Pour changer les Arabes, il faut changer le « ilm al-kadim » qui les commande et les fournit en représentations mentales. Pour changer ce « ilm al-kadim », il faut désamorcer les mines enfouies sous terre autour de lui, faire tomber la clôture qu’il a élevée, briser les tabous qu’il a semés dans les esprits puis s’emparer de lui et le mettre en examen.
Ce ne peut être qu’en vertu d’actes de puissance publique, d’actes d’Etats acquis à l’idée de réforme de la conception islamique du monde pour sauver les pays d’islam. Les intellectuels adhérant à cette vision peuvent jouer un rôle en amont (emporter l’adhésion des Etats) et en aval (accompagner la mise en œuvre des mesures réformatrices) mais pas imposer la réforme d’un bout à l’autre.
Ces obstacles franchis, les conditions préliminaires réunies, il faudra remonter à la période d’avant la formation du « ilm » (à partir du troisième siècle de l’Hégire), peut-être même à la période où le Coran n’avait pas encore été réuni sous le nom de « mashaf Hafsa » puis, quinze ans plus tard, sous celui de « mashaf Uthman » dans un ordre qui n’était pas celui dans lequel il a été révélé.
Le retour à l’ordre chronologique du Coran sera l’occasion de puiser dans le livre saint la vigueur nécessaire à la construction d’une nouvelle conception islamique du monde, de la raison d’être de l’Homme sur la terre et de la vision des autres (les non-musulmans), en même temps qu’il libérera l’islam des contradictions et des non-sens dont il a été lesté depuis la mort du Prophète.
Quand on achète une maison ou en hérite et qu’on ne possède pas de certificat de conformité ni ne sait quand et comment elle a été construite, ni combien de temps elle peut encore tenir, il est prudent d’en faire vérifier les fondations et la structure si l’on ne veut pas être enterré sous ses décombres en cas de malheur. Il manque à l’islam d’aujourd’hui un « certificat de conformité » justement.
« Le Soir d’Algérie » du 02 août 2015