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L’ISLAM QU’ON AIME ET L’ISLAMISME QU’ON HAIT

by admin

L’Algérie a pris en main ses destinées en 1962 avec une seule idée dans sa besace, le ‎nationalisme. Cette idée a tendu son peuple entre les années 1930 et 1960 et l’a ‎suffisamment motivé pour l’amener à se libérer de la domination coloniale. Mais le ‎nationalisme n’est pas une source de motivation éternelle. Avec les échecs, les déceptions et ‎les abus accumulés depuis l’Indépendance, ce sentiment s’est distendu jusqu’à ne plus lier le ‎peuple à l’État.‎

Ce que le peuple avait espéré de l’Indépendance c’était un peu de liberté, de dignité, de ‎justice sociale et de respect de sa personnalité. Il pensait que ses dirigeants, issus d’une ‎glorieuse Révolution à laquelle ils s’identifiaient dans leurs discours, étaient de braves gens ‎attachés au service de la nation jusqu’à ce qu’il découvre au fil du temps, des évènements et ‎des révélations, QU’ILS N’ETAIENT POUR LA PLUPART QUE DES DESPOTES ‎INCOMPETENTS, MEGALOMANES, OU SOUCIEUX DE LEURS SEULS INTERETS.

Dans les années 1970, le désenchantement commença à s’installer. Le peuple aspirait de ‎plus en plus ouvertement à autre chose qu’à la révolution agraire, à un renouveau qui le ‎remotiverait et établirait dans le pays un ordre social et moral plus juste. C’EST DANS CES ‎ANNEES-LA QUE L’ISLAMISME A FAIT SON APPARITION.‎

Dans les précédentes contributions, je me suis évertué à mettre en évidence que l’islamisme ‎était le produit de la culture théocratique diffuse dans l’esprit des peuples arabo-‎musulmans. ‎

Quinze ans auparavant, j’avais essayé de démontrer dans un livre (« L’Algérie entre le ‎mauvais et le pire », Ed Casbah, Alger, 1997) qu’il était une idéologie populiste plongeant ‎ses racines dans notre lointain passé et que son empreinte sur les esprits a été plus forte que ‎les acquis politiques, sociologiques, économiques et culturels accumulés au contact du ‎monde moderne avant et après l’Indépendance.

La victoire électorale des islamistes en Tunisie, au Maroc et en Égypte est venue conforter ‎cette thèse que j’avais restreinte à l’Algérie parce qu’elle venait de connaître ce que les ‎révolutions arabes ne connaitront que vingt ans plus tard. ‎
Que ce fut pour s’opposer à une invasion extérieure ou se soulever contre le despotisme, ce ‎sont les hommes de religion qui ont le plus souvent pris la tête du mouvement. Parmi eux, il ‎s’est souvent glissé des ulémas ignares ou des charlatans tenaillés par la soif du pouvoir, la ‎vengeance ou la revanche sociale.

Instruits de la propension de leurs peuples à la crédulité, de leur inclination au sacré et au ‎sentimentalisme (ce sont eux d’ailleurs qui y président), ils savent d’instinct avec quel ‎discours et avec quels accents eschatologiques les tenir. Ils veillent aussi aux apparences, ‎sachant qu’il est plus payant de se présenter aux foules sous les traits d’un savetier ou d’un ‎saint, que sous les apparences d’un esprit rationnel.

Tout au long de son histoire le Maghreb a connu une série de « da’îya » (prédicateurs) surgis ‎du néant pour se répandre en violents réquisitoires contre l’injustice, l’immoralité et ‎l’abandon de la religion, prôner le «retour aux sources», puis lancer les foules à l’assaut de ‎État qu’ils appellent à remplacer par «l’État islamique» qui saura instaurer, lui, l’égalité, la ‎justice et le règne de l’islam. Une fois le pouvoir à terre, ils installent à sa place une autre ‎dynastie contre laquelle un autre «cheikh» ou «mahdi» ne tarde pas à s’élever, avec les ‎mêmes arguments, et ainsi de suite… ‎

Nos ancêtres les Berbères ont de tout temps été sensibles aux idées rigoristes, n’aimant pas ‎la richesse, le luxe et l’opulence. Ils ont pris part à tous les mouvements de rébellion et à ‎tous les schismes religieux qui ont éclaté dans la région (Circoncellions et Donatistes sous les ‎Romains, Chiites et Kharidjites sous l’Islam), comme ils ont suivi l’imam Ibn Rostoum, l’imam ‎Yacoub, l’imam Obeïdallah, le cheikh Abou Yazid, etc. ‎

Sous l’occupation coloniale, ce seront aussi des hommes de religion qui guideront les ‎principales révoltes en Libye avec le grand et noble Omar al-Mokhtar, et en Algérie avec ‎l’Emir Abdelkader, Boumaza, Boubaghla, cheikh al-Haddad, al-Mokrani et Bouamama.

Et lorsqu’apparaîtra au XXe siècle dans notre pays le Mouvement national pour combattre le ‎colonialisme, on verra les zaïms remplacer les cheikhs dans la conscience populaire, tenant ‎à se parer des mêmes atours que les cheikhs et à s’entourer de la même ferveur. Des poils ‎de la barbe de Messali Hadj sont encore détenus, paraît-il, par des familles algériennes qui ‎les conservent comme de précieuses reliques.

Avec l’émergence du courant islamiste à la fin des années 1980, c’est encore une fois le ‎retour aux « daïa », aux « chouyoukh » et aux « émirs », et l’inévitable incitation au ‎soulèvement contre l’Etat « taghout » à la place duquel il convient d’installer, comme de ‎juste, l’État islamique.

Remémorez-vous le paysage politique algérien d’il y a vingt ans et considérez l’actuel : ‎combien de Maysara et d’« homme à l’âne » pouvez-vous dénombrer : une dizaine ? Une ‎vingtaine ? Il faut prendre garde néanmoins à ne pas se laisser abuser par le costume alpaga ‎ou la cravate chez quelques-uns, ce sont des tenues de travail, des tenues de camouflage. ‎

A qui la faute de ce qui arrive actuellement dans le monde arabe ? Aux peuples « que le ‎bendir rassemble et que le gourdin disperse» comme disait Ben Badis en son temps, ou aux ‎cyber-complots ? En ce qui nous concerne on peut trouver des circonstances atténuantes : ‎certes, à l’époque de la colonisation nous étions analphabètes dans notre immense majorité ‎et les moyens mobilisés par l’Association des oulamas algériens ne pouvaient pas suffire à ‎éduquer toute la population. L’administration coloniale, de son côté, finançait les « œuvres » ‎du maraboutisme.‎

Mais l’effort accompli en matière d’enseignement (à distinguer de l’éducation) par l’Algérie ‎indépendante n’a pas changé fondamentalement la donne : aux premières élections libres, ‎l’islamisme a raflé la mise. S’agissant de la Tunisie, qui eut cru que l’œuvre d’enseignement ‎et d’éducation menée par Bourguiba et Ben Ali pendant soixante ans serait balayée en une ‎seule élection organisée au pied levé ? ‎

Les Tunisiens transis par les résultats ont tort d’incriminer le Qatar pour son hypothétique ‎appui financier à Ennahda, ou d’invoquer on ne sait quelle irrégularité. NON, C’EST VENU ‎DE L’INTERIEUR, DES PROFONDEURS MAL SONDEES DU PEUPLE TUNISIEN. ET QUE DIRE ‎DE L’ÉGYPTE OU, COPTES MIS A PART, LES ELECTEURS, ONT PLEBISCITE A 85% NON PAS ‎SEULEMENT LES FRERES MUSULMANS, MAIS TOUT CE QUI PORTAIT DU VERT.

IL S’AGIT DE PRENDRE ACTE QUE L’ISLAMISMANIA N’EST PAS NEE DES REVOLUTIONS ‎ARABES, MAIS LEUR EST ANTERIEURE. CETTE REPETITION DE L’HISTOIRE EST TROP ‎FRAPPANTE POUR NE PAS RETENIR L’ATTENTION ET INCITER A LA REFLEXION. AUTANT ‎DE COÏNCIDENCES NE SAURAIENT RELEVER DU HASARD. IL Y A COMME UN MECANISME ‎DERRIERE CES REPETITIONS ET CES SIMILITUDES D’UNE EPOQUE A UNE AUTRE ET D’UN ‎PAYS A UN AUTRE.

D’AUCUNS PEUVENT PENSER QUE JE SUIS EN TRAIN D’INSINUER CES DERNIERS TEMPS ‎QUE LA FAUTE INCOMBE A LA RELIGION, ET QUE JE SUGGERE SON BANNISSEMENT DE LA ‎VIE PUBLIQUE. NON, CE QUE JE VEUX DIRE CLAIREMENT, SANS AMBAGES, C’EST QUE ‎L’ISLAMISME N’EST PAS L’ISLAM, QU’IL EST UNE PERVERSION DE L’ISLAM, QU’IL EST UNE ‎CALAMITE POUR L’ISLAM ET LES MUSULMANS, QU’IL COMPTE A SON ACTIF DES ‎CENTAINES DE MILLIERS DE VICTIMES MUSULMANES EN ALGERIE, EN ÉGYPTE, EN ‎AFGHANISTAN, EN SOMALIE ET EN IRAK, SANS COMPTER LES VICTIMES RELEVANT ‎D’AUTRES NATIONALITES ET CONFESSIONS TOMBEES DANS LES ATTENTATS. IL A DEJA ‎COUPE LE SOUDAN ET LA PALESTINE EN DEUX, ET MENACE L’INTEGRITE DES ‎POPULATIONS ET DES TERRITOIRES DE PLUSIEURS PAYS. ET CELA EN A PEINE DEUX ‎DECENNIES.

L’islam auquel on croit, l’islam qu’on aime et auquel on tient, est celui que Dieu a proposé ‎aux hommes comme une « tadhkira » (rappel) des révélations qui l’ont précédé et qu’il est ‎venu clore à jamais, qui reconnaît les autres religions et leurs prophètes, qui leur enjoint à ‎toutes de « s’élever à une parole commune » (Coran) et qui a choisi Mohammad comme ‎ultime Messager sans lui conférer un statut sacré.

C’est celui qui enseigne que «tuer un être humain équivaut à tuer l’ensemble de l’humanité ‎‎» (Coran), c’est celui de ces hadiths du Prophète, entre beaucoup d’autres : «J’ai reçu la ‎somme des paroles et j’ai été suscité pour parfaire les vertus les plus nobles» ; «Dans ‎l’Islam, on continuera de pratiquer les excellentes choses (fadha’el) du temps de la ‎djahiliya» ; «l’Islam intègre ce qui l’a précédé» ; «Vous avez pour mission de faire le ‎bonheur, et non le malheur des gens» ; «Ce qu’il y a de plus doux en votre religion est ce ‎qu’il y a de meilleur» ; «Instruisez bien vos enfants car ils vivront d’autres temps»(Ali)…‎

C’est celui mis en œuvre par le Prophète dans ses rapports avec les musulmans et les non-‎musulmans et illustré par de nombreux exemples dont voici quelques-uns : un certain ‎Habbar avait provoqué la mort de la fille du Prophète, Zeïneb, en la faisant tomber de son ‎chameau alors qu’elle était enceinte. Quand il se convertit à l’islam à la toute dernière ‎minute, le Prophète lui dit : « Va, tout est effacé par ta conversion ». A Wahchi, l’esclave qui ‎a tué Hamza (l’oncle du Prophète) à la bataille d’Ohoud et arraché son foie pour le donner à ‎la mère de Muawiya, il dit : « Tu es libre, mais épargne-moi ta vue désormais».‎

Pourtant à l’époque des faits et devant cet acte barbare il avait laissé libre cours à une ‎fureur toute humaine : « Si je réussis à m’emparer d’eux, je les mutilerai au double de ce ‎qu’ils nous ont fait ». Cette bataille, venant un an après celle de Badr, a été une débâcle ‎pour les musulmans numériquement inférieurs aux Mecquois païens. C’est alors que fut ‎révélé ce verset : « Quand vous tirez vengeance, que la peine que vous infligez soit ‎semblable à l’offense que vous avez subie. Mais il vaut mieux endurer l’offense avec ‎patience ». Dans une autre circonstance le Prophète dira : « Il vaut mieux pour le chef de se ‎tromper dans le pardon que de se tromper dans la punition ».

Ikrima était le fils de l’implacable Abou Djahl. Pourtant le Prophète le défendra en disant ‎devant ses Compagnons : « Voici Ikrima qui vient embrasser l’islam. Que personne ne tienne ‎jamais devant lui des propos injurieux à propos de son père. Insulter les morts, c’est blesser ‎les vivants ». Abdallah Ibn Obay était le chef des « mounafiqine », le parti des tribus ‎coalisées contre l’Islam. A sa mort, en 631, le Prophète pria pour lui et l’inhuma lui-même.

Ali vint un jour demander au Prophète ce qu’il convenait de faire devant une situation ‎inédite : « O Envoyé de Dieu, il y a des choses qui nous arrivent et que le Coran ne stipule ‎pas et que tu n’es pas signalées par un hadith ». Le Prophète lui répondit avec sa douceur ‎habituelle : « Réunissez pour cela des serviteurs de Dieu parmi les croyants, concertez-vous ‎sur vos affaires et ne prenez jamais de décision d’après une seule opinion ». ‎

Opposé à toute velléité de sacraliser sa personne, il a dit : « Je ne suis qu’un homme mortel. ‎Vous venez porter devant moi des litiges ; il se peut que l’un de vous soit plus apte à me ‎convaincre que l’autre, et que je décide d’après ce que j’aurais entendu de lui. A quiconque ‎j’octroie par mon jugement ce qui appartient en vérité à l’autre, qu’il ne le prenne point car ‎je ne lui donne qu’une part de l’enfer ». Le Prophète a dit cela. Mais si vous disiez devant un ‎islamiste que le Prophète était faillible, vous risqueriez d’être écharpé.

L’Islam qu’on aime est celui des mille exemples de tolérance, de bonté et d’indulgence ‎donnés par le Prophète tout au long de sa vie et de sa mission. C’est celui de la « Maison de ‎la sagesse », des traducteurs des chefs-d’œuvre de la pensée grecque, des Moatazilites, ‎d’Ibn Sina, d’Ibn Tofaïl, d’Ibn Rochd, d’Ibn Khaldoun, et de tant d’autres. ‎
C’est celui des grands chefs militaires qui ont allié l’art militaire, le courage, la culture, la ‎grandeur d’âme et le désintéressement personnel comme Omar Ibn Abdelaziz renonçant au ‎pouvoir dynastique, ou le Kurde Salah-Eddine Al-Ayyoubi (Saladin) soignant son ennemi, le ‎roi Richard Cœur de Lion et quittant ce monde en laissant comme seule richesse une étoffe ‎de tissu.

C’est celui de l’Emir Abdelkader, d’Al- Kawakibi, de Mohamed Iqbal, d’Ali Abderrazik, de Ben ‎Badis, de Bennabi, de Mohamed Al-Ghazali… C’est celui de Mohamed Abdou disant aux ‎ulémas d’Al-Azhar : « Celui qui ne connaît pas une des langues de la science européenne ne ‎peut pas être tenu pour un alem ». C’est celui dans lequel nous ont élevés nos parents, celui ‎de nos aïeux, celui que nous avons vécu pendant des siècles dans l’amour, la joie et la ‎tolérance, alors même qu’il était parasité par le maraboutisme. Quel homme, quel peuple ‎n’aimerait cet islam ?

Ce sont ces exemples magnifiques qui existent en centaines et milliers à travers les siècles ‎et les continents, cette grandeur d’âme, ce sens de l’humain, qui font qu’il soit un des plus ‎beaux idéaux qui aient été proposés à l’espèce humaine. Qu’il n’ait pas été réalisé ‎complètement, qu’il ne se soit pas toujours traduit en philosophie de la vie dans le quotidien ‎et en institutions sociales pérennes, ne peut être retourné contre lui ou servir à le remettre ‎en cause.

Il a permis à des non-Arabes d’exercer le califat et à des non-musulmans d’être ministres, ‎conseillers et hommes de confiance des puissants. Il a humanisé le droit de la guerre, ‎amélioré la condition de la femme, banni les préjugés de couleur, toléré la liberté de ‎conscience et d’expression… Il ne demandait pas grand-chose aux hommes, et quand il le ‎leur demandait c’était avec la plus grande considération pour leur nature : « Quand je vous ‎donne un ordre, exécutez-le dans la mesure du possible », aimait à dire le Prophète.

A l’opposé de cet islam que nous chérissons, il y a l’islamisme que nous haïssons et que le ‎Prophète semble avoir prédit en disant : « Des gens sortiront de ma communauté. Ils ‎réciteront le Coran, et votre récitation n’approchera en rien de la leur. Votre prière, de ‎même, ne sera rien à côté de la leur, ni votre jeûne en comparaison du leur. Ils réciteront le ‎Coran en s’imaginant qu’il est pour eux, alors qu’en réalité il les condamne ».‎

C’est peut-être en pensant à cette engeance qu’il a dit aussi : « Le plus hardi d’entre vous à ‎donner des fatwas est aussi le plus hardi à s’exposer aux pires châtiments de l’enfer ». Et ‎c’est à raison que doit être appliquée à l’islamisme cette sentence de Nietzsche : « La foi ne ‎déplace pas les montagnes, elle met des montagnes là où il n’y en a pas ».‎

Dans le cercle de Bennabi, entre 1970 et 1973, je remarquais à quel point certains parmi ‎ceux qui venaient l’écouter étaient la négation même de sa pensée. Ne partageant rien avec ‎eux, je passais à leurs yeux pour une sorte de « laïc ». Ils passeront plus tard à l’islamisme. ‎C’est là aussi que j’ai connu feu Mahfoud Nahnah. A la veille de créer son mouvement, vingt ‎ans plus tard, il me sollicita à plusieurs reprises pour m’associer à son projet, mais je ‎repoussai poliment son offre et pris mon propre chemin. ‎

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt j’écrivais dans la presse pour défendre l’islam ‎des outrances de l’idéologie socialo-marxiste, et en raison de cela on me colla l’étiquette de ‎‎« frère musulman ». Dès la proclamation des résultats du premier tour des élections ‎législatives de décembre 1991, remportées par le FIS, j’ai été convié à rejoindre ceux qui ‎s’étaient mis en mouvement pour arrêter le processus électoral, mais j’ai refusé de les ‎suivre sur cette voie. Le chef du gouvernement de l’époque, M. Sid-Ahmed Ghozali se ‎souvient peut-être de ce que je lui ai dit dans son bureau ce soir-là, sur le ton de la ‎plaisanterie, en présence de feu Larbi Belkheïr : « Il risque de vous arriver ce qui est arrivé à ‎Chapour Bakhtiar ».‎

Les jours suivants j’ai publiquement – et par écrit – pris position contre cette action en ‎préparation, plaidé pour le respect du vote populaire et la tenue du deuxième tour, et ‎proposé de laisser le FIS investir l’Assemblée nationale et former le gouvernement. ‎
J’ajoutai que s’il lui prenait l’envie de porter atteinte à la Constitution, aux libertés publiques ‎et au caractère républicain et démocratique de l’État, à ce moment-là il serait légitime de ‎l’en empêcher par tous les moyens. A l’époque, on me faisait passer pour un « islamiste ‎modéré ». Si j’avais été islamiste un seul jour de ma vie, j’aurais été totalement immodéré ‎car il n’y en a pas de modérés.

Deux mois plus tard, feu le président Boudiaf recevait les leaders des partis politiques parmi ‎lesquels ses anciens compagnons du CRUA, Ben Bella et Aït Ahmed. La discussion traîna sur ‎leurs souvenirs communs de l’Algérie des années quarante. Quand vint mon tour de parole ‎je lui ai dit : « M. le président, vous êtes étranger à la crise… Les Algériens d’aujourd’hui ‎croient plus aux valeurs d’Octobre qu’à celles de Novembre…», ce qui eut pour effet ‎d’énerver quelques-uns autour de la table. ‎
Bref, le président Boudiaf nous apprit qu’il nous avait invités pour nous annoncer qu’une « ‎décision importante » allait être prise, sans s’ouvrir à nous sur son contenu.

Aussitôt que ‎j’eus quitté le siège de la Présidence, je convoquai une conférence de presse pour déclarer ‎que nous ne saurions approuver une décision à laquelle on voulait nous associer sans en ‎connaître la nature. Il s’agissait de la dissolution du FIS qui fut annoncée le soir même à la ‎télévision. ‎

Je dois préciser, s’il en était besoin, que mes positions envers le FIS n’étaient nullement ‎dictées par une quelconque sympathie envers ses idées, mais par conviction démocratique ‎et par souci de rester cohérent avec moi-même. Je croyais et croirai toujours à la ‎démocratie, sans ignorer la nature non démocratique de larges pans de notre société et ‎l’emprise profonde de l’islamismania sur nos mentalités. ‎
Si des élections présidentielles libres devaient se tenir aujourd’hui, c’est le discours le plus ‎haineux, le plus nihiliste et le moins démocratique qui serait installé à El- Mouradia. Tout le ‎monde le sait in petto mais personne n’ose le dire en public. On joue à se duper les uns les ‎autres et on croit que c’est cela le summum de l’intelligence politique. ‎

Depuis l’agrément du FIS, je n’avais cessé de le critiquer dans des interviews et des ‎communiqués officiels, et non en catimini. Ce que je pense et écris aujourd’hui au sujet des ‎révolutions arabes et des résultats des élections est exactement ce que je pensais, écrivais et ‎défendais à l’époque : L’HYPOTHEQUE ISLAMISTE DOIT ETRE LEVEE ET L’EPEE DE ‎DAMOCLES ELOIGNEE DE NOS TETES.‎

IL N’Y A PAS MOYEN DE FAIRE AUTREMENT, DE FAÇON EFFICACE ET DURABLE, QUE DE ‎LAISSER LES ISLAMISTES GOUVERNER QUAND ILS REÇOIVENT L’ONCTION DE LA ‎MAJORITE, TOUT EN VEILLANT A LA PROTECTION DES LIBERTES PUBLIQUES ET DU CADRE ‎REPUBLICAIN ET DEMOCRATIQUE DE L’ETAT. A CE MOMENT-LA, SI UNE GUERRE CIVILE ‎DOIT ECLATER, CE SERA POUR LA BONNE CAUSE ET NOUS Y ENTRERIONS TOUS LE CŒUR ‎LEGER. C’EST AINSI QUE SE DEBLOQUERA L’HISTOIRE DU MONDE ARABO-MUSULMAN, ET ‎D’AUCUNE AUTRE MANIERE.

On voit bien que le problème est dans le peuple, dans le corps électoral, et non dans les ‎pétrodollars saoudiens ou qataris.

Au cours des séances du dialogue national ouvert et conduit par le président Liamine ‎Zeroual en 1994, j’étais de tous les participants celui qui s’était opposé le plus fermement au ‎projet de communiqué final parce qu’il contenait un paragraphe mettant pratiquement sur ‎un pied d’égalité la violence terroriste et la contre-violence de l’Etat. ‎
Je me rappelle de l’accrochage que j’avais eu avec feu Abdelhamid Mehri. A un moment il ‎avait dit : « Cette séance me rappelle les débats du CNRA en 1962 à Tripoli ». Je lui ai ‎répondu : « Ya si Mehri, c’est parce que vous n’avez pas réglé les problèmes qui se posaient ‎à l’époque que nous sommes aujourd’hui dans cette situation ». Il y eut un rire général, ce ‎qui détendit l’ambiance.

Le mois suivant je me rendis à Rome à l’invitation de l’association San Egidio. Là, devant la ‎presse internationale, je récusai la tenue d’une telle réunion de l’opposition algérienne à ‎l’étranger, et me démarquai de ceux qui, parmi nos « historiques », venaient de qualifier le ‎terrorisme de « mouvement de résistance ». Nahnah défendit la même position que moi. ‎

La conférence avorta et il fallut en convoquer une seconde (à laquelle je n’ai pas été invité) ‎pour aboutir au fameux « Contrat de Rome ». Depuis, je ne passais plus pour un islamiste ‎modéré, ni pour un laïc, mais pour un « agent du DRS ». Vingt ans après ces évènements, je ‎remercie Dieu d’un côté, et l’Histoire de l’autre, parce qu’elle a montré que je n’étais pas ‎dans l’erreur. C’est ce qui me permet aujourd’hui d’écrire ce que j’écris, sans craindre d’être ‎confondu par un écrit passé ou une position publique antérieure. Ils ne sont pas bien ‎nombreux ceux qui peuvent s’exposer à un tel défi.‎

Il semble que le Prophète ait honoré les Berbères de quelques belles paroles. Il aurait dit un ‎jour à Omar : « Allah ouvrira une porte du côté du Maghreb : il lui suscitera un peuple qui le ‎glorifiera et humiliera les infidèles. Peuple de gens craignant Allah, qui mourront pour ce ‎qu’ils auront vu, ils n’ont pas de villes qu’ils habitent, ni de lieux fortifiés dans lesquels ils se ‎gardent, ni de marchés sur lesquels ils vendent ».‎

A quelques mois de sa mort il serait revenu sur le sujet, disant : « Je vous recommande la ‎crainte d’Allah et des Berbères car ce sont eux qui viendront vers vous avec la religion ‎d’Allah du fond du Maghreb, et Allah les prendra en échange de vous.» (Selon Ibn Hammad, ‎cité par Mahfoud Kaddache in « L’Algérie médiévale »).

La prophétie s’est-elle réalisée avec la conquête de l’Espagne, la fondation du Caire, les ‎dynasties almoravide et almohade, hauts faits à mettre à l’actif de nos ancêtres, ou bien est-‎elle en rapport avec des évènements non encore survenus ?

‎ « Le Soir d’Algérie » du 4 mars 2012‎

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