Home ARTICLESLes questions internationales2011-2016 ISLAM : AVANT ET AUJOURD’HUI

ISLAM : AVANT ET AUJOURD’HUI

by admin

Dans une de mes dernières contributions je disais que l’islamisme arrivé au pouvoir par ‎l’alchimie des révolutions arabes et qui laisse entendre qu’il va réussir chez lui comme l’AKP ‎en Turquie a en fait peu de chances de rééditer cette réussite car il n’a pas été, comme lui, ‎soumis depuis sa naissance et des décennies durant à deux limites entre lesquelles il était ‎obligé d’évoluer sans possibilité de les transgresser : la laïcité inscrite dans la Constitution et ‎les prérequis nécessités par la perspective d’intégrer l’Union européenne. Ces deux ‎contraintes qui, à la longue, ont façonné sa nature et lui ont servi de garde-fou se sont ‎avérées fructueuses et salutaires puisqu’elles lui ont permis de gouverner sans interruption ‎pendant douze ans.

Il manque à l’islamisme arabe un autre atout : l’ancienneté et l’expérience de l’AKP qui n’a ‎gouverné seul qu’après quarante ans de cohabitation au parlement et au gouvernement ‎avec d’autres forces et après avoir dirigé de grandes agglomérations comme Ankara et ‎Istanbul dont l’actuel Premier ministre (Erdogan) a été le maire pendant des années. C’est ‎dans ces fonctions électives que les cadres de l’AKP ont fait leur apprentissage de la gestion ‎de l’État. ‎

En opérant un recul dans l’histoire, on remarque que ces deux contraintes étaient présentes ‎dans l’Algérie coloniale. Au sein du Mouvement national qui s’était formé pour combattre le ‎colonialisme il y avait une composante islamique, l’« Association des oulamas algériens ». ‎Invoquant le principe de la séparation du culte et de l’Etat, elle a revendiqué pendant des ‎décennies son application au culte musulman afin d’en prendre la charge, et réussit à ‎quadriller le pays avec un réseau de plusieurs centaines d’établissements d’enseignement ‎libre.

Vivant sous le régime de la laïcité qu’ils voulaient tourner à leur avantage, les oulamas ‎accomplissaient leur mission sociale et éducative tout en réfléchissant à l’avenir, au jour où ‎l’Algérie recouvrerait sa souveraineté. Comme s’il avait deviné l’usage qui pourrait être fait ‎de la religion dans le domaine politique, Ben Badis avait donné pour devise à son journal ‎‎(« al-Mountaqid ») : « La vérité au-dessus de tous, la patrie avant tout ».

C’était en 1924. ‎Quel journal islamiste de par le monde afficherait une telle devise aujourd’hui ? ‎

Et comme s’il s’était représenté ce qu’allait être cet avenir – celui que vit l’Algérie depuis ‎que l’islamisme charlatanesque s’est abattu sur elle – il avait écrit dans le « Manifeste ‎doctrinal de l’Association des oulamas » en 1937 :« L’ISLAM HONORE ET GLORIFIE LA ‎RAISON ET RECOMMANDE DE BASER TOUS LES ACTES DE LA VIE SUR L’USAGE DE LA ‎REFLEXION… IL PROPAGE SA DOCTRINE PAR L’ARGUMENTATION RATIONNELLE ET LA ‎PERSUASION, NON PAR LA RUSE ET LA CONTRAINTE… SON REGIME EST ‎ESSENTIELLEMENT DEMOCRATIQUE ET N’ADMET POINT D’ABSOLUTISME, MEME AU ‎PROFIT DE L’HOMME LE PLUS JUSTE.»‎

Dans les « madrasas » ouvertes par l’Association on enseignait les mêmes matières que ‎celles dispensées dans les écoles françaises en dehors de l’arabe et des cours religieux. J’ai ‎été élève pendant plusieurs années dans l’une d’elles à El-Biar, dans les années cinquante. ‎Elle portait le nom de « Madrasat-Tahdib » et était dirigée par un personnage à l’allure ‎martiale dont j’ai oublié le prénom mais gardé le nom : M. Foudala.

La mixité était quelque chose de naturel puisque j’y allais avec mes sœurs. Les maîtres ‎s’habillaient selon leurs moyens, le directeur était toujours impeccablement mis, avec ‎costume-cravate, et il n’y avait ni kamis, ni calotte blanche ou rouge, ni barbe bien ou mal ‎taillée, ni claquettes aux pieds.

On n’avait jamais vu ou entendu parler de « hidjab » ou de « niqab » et encore moins de ‎‎« tenue afghane ». Il faut dire que Kaboul n’avait pas encore ravi sa place à Paris dans le ‎chic féminin. Dehors, les femmes mettaient le haïk, mais pas les jeunes filles. A l’intérieur ‎du pays, on ne savait pratiquement pas ce que c’était.

Les Algériens vivaient à l’écart des Européens, entre eux, selon leurs coutumes locales et ‎leurs traditions religieuses. Dans cette société pauvre, indifférenciée socialement mais ‎solidaire et fraternelle les oulamas, imams et « hadjis » occupaient une place prestigieuse. ‎Ils étaient regardés comme les guides moraux du peuple sans qu’ils cherchent à lui imposer ‎une quelconque tutelle ou à s’ériger en directeurs de conscience. Ils ne se posaient pas en ‎guides, c’est la considération morale dont ils étaient entourés qui les faisait passer pour tels ‎parce qu’ils étaient ouverts d’esprit et donnaient le bon exemple.‎

Il existait dans les villes des lieux mal famés, dans la haute et basse Casbah notamment, il y ‎avait des débits de boissons alcoolisées, le kif se vendait à la sauvette, et si ces marchés ‎existaient et florissaient c’est parce que les consommateurs et les habitués des lieux étaient ‎musulmans, les Européens ayant leur propre monde.

Les imams et les sages du quartier leur faisaient la morale quelquefois à l’approche du ‎Ramadan et des fêtes religieuses, ou alors ils étaient flétris par quelque juron lancé à leur ‎face quand ils se livraient à un affront en public. Tout le monde au fond s’apitoyait sur eux ‎plus qu’il ne les blâmait.

ON NE CONNAISSAIT PAS LA PROMPTITUDE A EXCOMMUNIER, LES VOCIFERATIONS ET ‎LES ANATHEMES, MEME ENVERS LES IVROGNES, LES PERSONNES DE MAUVAISE VIE OU ‎CEUX ET CELLES QUI S’ETAIENT COMPLETEMENT « FRANCISES ». ‎

Il régnait une tolérance naturelle, généreuse et bonhomme, sans tendre à la connivence ou ‎verser dans la permissivité. Au contraire, la société secourait les déviants au lieu de les juger ‎et de les condamner. Toute seule, sans avoir un Etat ou l’argent du pétrole. ‎
Chacun menait son existence, droite ou zigzagante, selon son bon vouloir mais dans le ‎respect des codes sociaux. En lisant « Lebbeïk » de Bennabi ou « Ce que le jour doit à la ‎nuit » de Khadra, on retrouve un peu de cette ambiance.‎

Il y avait beaucoup d’âme, de philosophie et de miséricorde dans les rapports humains. Que ‎l’on fut pieux ou dévergondé, il fallait juste respecter les usages, les formes et les ‎convenances. Il ne pouvait pas venir à l’esprit de quelqu’un d’accoster un autre pour l’inciter ‎à aller à la mosquée, l’interroger sur sa tenue, celle de sa femme ou de sa sœur, ou pour lui ‎demander s’il jeûnait ou non. Personne ne surveillait personne alors qu’on était en pleine ‎guerre et que la délation était redoutée.‎

Cette ambiance de tolérance s’étendait aux Européens et aux juifs. Dans les grandes villes, il ‎existait entre les trois communautés un climat d’émulation et les plus défavorisés ‎économiquement et politiquement – les Algériens – étaient ceux qui avaient le plus à cœur ‎d’être à la hauteur, peut-être parce qu’on tenait à les faire rentrer de force dans les clichés ‎de « fanatiques » et d’ « arriérés ». ‎

Malgré la modestie des moyens, ils avaient leur tenue du dimanche et ciraient leurs ‎chaussures pour sortir se promener ce jour-là ou aller faire une partie de dominos ou de ‎ »ronda ». Qui met un costume le vendredi, aujourd’hui ? Combien sont ceux qui possèdent chez ‎eux une brosse et du cirage ? On s’est débarrassé de ce souci avant même l’apparition du ‎‎« kamis » et des claquettes.‎

Le 5 août 1934, des affrontements d’une grande violence éclatent entre Algériens et juifs à ‎Constantine où un Israélite éméché avait uriné contre le mur d’une mosquée, avant de ‎s’étendre à d’autres villes. Ils se solderont par une vingtaine de morts de part et d’autre. Les ‎oulamas, Ben Badis en tête, ont déployé pendant ces évènements toute leur énergie pour les ‎faire cesser.

Bennabi, qui se trouvait à Tébessa, apporte dans ses « Mémoires » ce témoignage : « Nous ‎nous opposâmes à Tébessa à ce que la minorité juive subisse le moindre dommage. La nuit, ‎nous faisions même une garde sous le balcon d’un certain Moraly que nous pensions être le ‎plus susceptible d’attirer une vendetta. L’imam de la ville fut sublime, rassurant jusqu’à sa ‎porte un malheureux juif attaqué par un voyou… Le cheikh Ben Badis fut durant ces pénibles ‎évènements d’un grand courage et d’une parfaire dignité ».‎

QUEL SAVANTISSIME CHEIKH, QUELLE FIGURE INTELLECTUELLE ARABE OU MUSULMANE ‎FERAIT AUJOURD’HUI BARRAGE DE SON CORPS POUR PROTEGER LES CHRETIENS ‎D’ÉGYPTE OU D’IRAK ? JE N’OSE PAS PARLER DE JUIFS.‎

C’EST DIRE S’IL FAISAIT BON VIVRE DANS LES REDUITS LAISSES PAR L’OCCUPATION ‎FRANÇAISE AUX ALGERIENS. IL Y AVAIT L’ISLAM, SANS L’ISLAMISME, IL Y AVAIT LA FOI ET ‎LA JOIE DE VIVRE EN MEME TEMPS, TOUT LE MONDE ETAIT MUSULMAN MAIS ‎PERSONNE N’ETAIT ISLAMISTE.

EN COMPARAISON AVEC LA TERREUR APPARUE DANS LE SILLAGE DE L’ISLAMISME ‎DEPUIS DEUX DECENNIES, C’ETAIT L’AGE D’OR, UN AGE QUE CE PAYS NE RETROUVERA ‎PEUT-ETRE JAMAIS. IL EN ALLAIT DE MEME EN TUNISIE, AU MAROC, EN LIBYE ET EN ‎ÉGYPTE. IL N’Y A QU’A VOIR LES FILMS EN NOIR ET BLANC DE L’EPOQUE.

Notre pays est l’un des rares au monde à ne pas abriter de minorités religieuses ou ‎ethniques. Que serait-il advenu d’elles pendant la décennie noire ?‎

L’ISLAMISME A INTRODUIT DANS LA SOCIETE ALGERIENNE LA SUSPICION, LA ‎DESHUMANISATION DES RAPPORTS, LA LAIDEUR, LA HAINE ET LA MORT. IL A CREE ‎L’ENNEMI INTIME, L’ENNEMI INVISIBLE QUI S’INSINUE DANS LES FAMILLES, LES ‎QUARTIERS, LES LIEUX DE TRAVAIL ET LES HAMEAUX. LES DOMMAGES APPORTES A ‎L’ISLAM ET AUX ALGERIENS PAR L’ISLAMISME SONT PLUS GRANDS ET PLUS GRAVES QUE ‎CEUX QUE LEUR A CAUSES LE COLONIALISME. ‎

EN PRES D’UN SIECLE ET DEMI, CELUI-CI N’A PAS REUSSI A DIVISER LES ALGERIENS OU A ‎LES CONDUIRE A S’ENTRETUER. L’ISLAMISME A REUSSI A LE FAIRE EN A PEINE QUELQUES ‎ANNEES.

IL LES A DIVISES INTELLECTUELLEMENT ET POLITIQUEMENT EN DEUX : LES MUSULMANS ‎DE TOUJOURS ET LES MUSULMANS ISLAMISTES. IL A ERADIQUE UNE PARTIE DE L’ELITE, ‎DES FRERES SONT DEVENUS ENNEMIS, DES FAMILLES SE SONT DISLOQUEES, LES VOISINS ‎SONT DEVENUS SUSPECTS LES UNS AUX AUTRES ET LES QUARTIERS ONT PERDU LEUR ‎SOLIDARITE. SANS POSSIBILITE DE SE SEPARER OU D’ALLER SE REFAIRE AILLEURS. IL EST ‎LA CAUSE DIRECTE OU INDIRECTE DE CENTAINES DE MILLIERS DE MORTS. C’EST UN ‎BILAN DE GUERRE, D’UNE GRANDE GUERRE DONT LES SEQUELLES DURERONT ‎LONGTEMPS. ‎

C’est que l’ennemi intime est plus problématique que l’ennemi étranger. L’étranger peut ‎partir, il a où aller, mais pas le compatriote, le voisin ou le frère. Contre le colonialisme, les ‎choses étaient claires. La ligne de démarcation était connue, visible, évidente et les ‎adversaires bien campés dans leurs rôles respectifs. En cas de conflit, chacun savait ce qu’il ‎aurait à faire et que l’affaire finirait par se régler d’une façon ou d’une autre. ‎
Sept ans ont suffi pour que l’envahisseur retourne d’où il est venu. Après vingt ans de tueries, ‎le terrorisme islamiste sévit toujours. Ce sera peut-être pour cent ans, comme dans les ‎guerres de religion connues par l’Occident au Moyen-âge. ‎

L’ISLAM MAGHREBIN ETAIT OUVERT, TOLERANT, CIVILISE, PACIFIQUE, JUSQU’A ‎L’ARRIVEE DE L’ISLAMISME RADICAL IMPORTE D’ÉGYPTE, DU PAKISTAN ET ‎D’AFGHANISTAN A PARTIR DES ANNEES 1970. DE TOUS LES PAYS ARABO-MUSULMANS, ‎NOUS SOMMES CELUI QUI A PAYE LE PLUS LOURD TRIBUT A CETTE IMPORTATION QUI, ‎MELANGEE AU POPULISME ET AU NIHILISME LOCAUX, A DONNE UN ISLAMISME DE BAS ‎ETAGE, HAINEUX ET VIOLENT.

Les principaux promoteurs intellectuels de cet islamisme sont l’égyptien SayyedQotb et le ‎Pakistanais Mawdudi. Le pronostic vital de leurs pays respectifs est aujourd’hui engagé de ‎leur fait. C’est l’effet boomerang ou, comme dirait Bennabi, « la Némésis des idées trahies ‎‎». ‎

BEN BADIS A ETE L’UNE DES RARES PERSONNALITES RELIGIEUSES DU MONDE ‎MUSULMAN A APPROUVER LE PROJET D’ABOLITION DU CALIFAT PAR MUSTAPHA KEMAL ‎EN 1924. IL A ECRIT A LA VEILLE DE CETTE DECISION : « LE JOUR OU LES TURCS ‎ABOLIRONT LE CALIFAT, ILS N’AURONT PAS ABOLI LE CALIFAT AU SENS ISLAMIQUE DU ‎TERME, MAIS UN REGIME DE GOUVERNEMENT QUI LEUR EST PROPRE. ILS ONT LIQUIDE ‎UN SYMBOLE SANS CONSISTANCE QUI A ETE UNE SOURCE DE FITNA ABSURDE ENTRE LES ‎MUSULMANS… LE MYTHE DU CALIFAT NE DEVIENDRA PAS REALITE, LES MUSULMANS ‎FINIRONT PAR S’ALIGNER SUR CE POINT DE VUE » (Cf : « Penseurs maghrébins ‎contemporains », Horizons maghrébins, Ed. Cérès, Tunis, 1997). ‎

CE FAISANT, LE CHEIKH S’ETAIT MIS EN PORTE-A-FAUX AVEC LES POSITIONS PRISES PAR ‎RACHID RIDHA ET L’UNIVERSITE ISLAMIQUE D’AL-AZHAR QUI ETAIENT RESTES ATTACHES ‎A L’IDEE DE RESTAURER LE CALIFAT.

IL SOUTIENDRA EGALEMENT ALI ABDERRAZIK QUAND CELUI-CI ESSUIERA LES FOUDRES ‎DES ULEMAS EGYPTIENS POUR AVOIR PUBLIE EN 1925 SON FAMEUX LIVRE « L’ISLAM ET ‎LES FONDEMENTS DU POUVOIR ». C’EST DANS CETTE EFFERVESCENCE (1924-1928) QUE ‎SONT NES EN INDE LE MOUVEMENT « JAMAAT-AT-TABLIGH » (GROUPES DE ‎PREDICATION) ET EN ÉGYPTE LE MOUVEMENT DES « FRERES MUSULMANS ».

BEN BADIS NE VOYAIT LE CALIFAT QU’ASSUME PAR UNE STRUCTURE COLLEGIALE ‎REUNISSANT SUNNITES ET CHIITES QUI ASSUMERAIT DES FONCTIONS PUREMENT ‎MORALES ET RELIGIEUSES, LES FONCTIONS POLITIQUES, SOCIALES ET ECONOMIQUES ‎RESTANT DU RESSORT DES ETATS. IL ECRIT A CE SUJET : « AUCUNE PERSONNE N’EST ‎AUTORISEE A PRENDRE LA DIRECTION DES AFFAIRES DE LA OUMMA SANS QUE CELLE-CI ‎L’EN AIT CHARGEE ». ‎

La vision du monde développée entre les années vingt et cinquante par nos vénérables ‎oulamas était très en avance sur celle que prônent aujourd’hui les ulémas les plus éclairés et ‎les plus modérés. On s’en rend compte mieux que jamais à la lumière de la nouvelle ‎situation du monde arabe : ils étaient dans le vrai et le juste.

Quel homme de religion de premier plan se hasarderait aujourd’hui à offrir de partager le ‎califat avec les chiites ? ‎

L’islamisme arabe et l’islamisme turc ne se ressemblent que de loin. A ce que l’on sache, ce ‎dernier n’a pas tué pour arriver au pouvoir ; il n’a pas divisé en deux son peuple ; il n’a pas ‎clochardisé la Turquie, ni enlaidi et attristé sa vie. Il y est arrivé par les voies de la ‎persuasion, de la légalité, de la démocratie et de la rationalité.

COMME JE LE DISAIS DANS LA DERNIERE SERIE D’ARTICLES, LA LAÏCITE ET LE TUTORAT DE ‎L’ARMEE L’ONT SERVI PLUS QU’ILS NE L’ONT DESSERVI. AU SURPLUS, L’ISLAMISME N’A ‎ETE QU’UN JUSTE RETOUR DES CHOSES EN CONSIDERATION DE CE QU’A FAIT SUBIR ‎MUSTAPHA KEMAL A CE PAYS.

‎« CHASSEZ LE NATUREL, IL REVIENT AU GALOP », DIT UN ADAGE FRANÇAIS. CE QUI EST ‎ARRIVE, C’EST QUE L’ISLAM – LE NATUREL CHASSE – EST REVENU AU GALOP APRES LA ‎MORT D’ATATÜRK. IL L’AVAIT VRAIMENT CHASSE DE LA VIE DES TURCS.

Entre 1921 et 1923, il commence par faire adopter par la Grande assemblée nationale une ‎série de lois constitutionnelles disposant que « la base de l’État turc est la souveraineté du ‎peuple » et la Turquie « une démocratie parlementaire ». Hostile à l’abolition du califat, ‎l’Assemblée lui propose de devenir calife mais il refuse l’offre avec dédain. Le 3 mars 1924 il ‎lui présente un projet de loi supprimant le califat et imposant la laïcité. Sous la menace des ‎armes, les députés votent le texte. Ceux qui s’y sont opposés, même parmi ses anciens ‎compagnons, ont été pendus ou fusillés. ‎

Ayant désormais les mains libres il entreprend une tâche que peu d’hommes dans l’Histoire ‎ont osée : changer l’âme d’un peuple, le couper de ses racines spirituelles et historiques, le ‎vêtir d’une identité qui n’est pas la sienne, lui inculquer autoritairement des gestes et des ‎habitudes étrangers à sa nature.‎

Il abroge la législation ottomane inspirée de la charia et la remplace par le code civil suisse, ‎le code pénal italien et le code de commerce allemand. Il interdit sous peine ‎d’emprisonnement l’usage des salutations islamiques (salamou alaïkoum) et toute expression ‎de la culture arabe (littérature, poésie, musique, danse…). ‎

Il promulgue une loi assimilant le port du fez (tarbouche rouge) à un « attentat contre la ‎sûreté de l’État », remplace le vendredi par dimanche comme jour de repos et le calendrier ‎arabe par le calendrier européen. Il fait fermer les mosquées, interdire les livres religieux, ‎coupe toute relation avec les Arabes et se tourne complètement vers l’Occident.

Il donne une année à la nation pour s’habituer à écrire en caractères latins la langue turque ‎qui utilisait jusqu’alors les caractères arabes. Ces transformations radicales sans précédent ‎furent menées en moins de quatre ans et se soldèrent par la mort de dizaines de milliers de ‎récalcitrants. ‎

Le remplacement des caractères arabes par les caractères latins a rencontré la ‎compréhension de Bennabi qui écrira un demi-siècle plus tard : « Il ne faut pas mettre tous ‎les torts du côté turc. La mesure d’abolition peut être interprétée comme une réaction ‎passionnelle… Il faut tenir compte d’une conjoncture dramatique dans laquelle la Turquie ‎nouvelle faisait face aux suites du démembrement de l’Empire ottoman. Or l’historien ne ‎peut pas ne pas tenir compte de la responsabilité des Arabes dans ce démembrement qui ‎aboutira, entre autres, à l’établissement d’Israël en Palestine » (« Les avatars de ‎l’arabisation » in Révolution africaine du 2 juin 1968).

QUAND ATATÜRK DECEDE EN 1938, BEN BADIS LUI REND UN VIBRANT HOMMAGE : « ‎MUSTAPHA KEMAL N’ETAIT PAS L’ARTISAN DE LA RENAISSANCE DE LA SEULE TURQUIE. ‎IL FUT L’ARTISAN DE LA RENAISSANCE DE TOUT L’ORIENT MUSULMAN, ET DE CE FAIT IL ‎MODIFIA LE COURS DE L’HISTOIRE ET JETA LES BASES D’UNE FORMATION NOUVELLE ; IL ‎ETAIT A JUSTE TITRE L’UN DES PLUS GRANDS GENIES DE L’ORIENT QUI ONT INFLUENCE ‎LA RELIGION DE L’HUMANITE ET SON EXISTENCE DEPUIS LES SIECLES LES PLUS RECULES… ‎MUSTAPHA KEMAL A ARRACHE AUX TURCS LES “COMMANDEMENTS DE LA ‎JURISPRUDENCE TRADITIONNELLE“ ET IL N’EST PAS SEUL RESPONSABLE DE CELA. LES ‎TURCS ONT LA POSSIBILITE DE LES REMETTRE EN COURS QUAND ILS LE VOUDRONT ET ‎COMME ILS LE VOUDRONT. MAIS IL LEUR A RESTITUE LA LIBERTE, LEUR INDEPENDANCE, ‎LEUR SOUVERAINETE ET LEUR GRANDEUR PARMI LES NATIONS DE LA TERRE… QUANT AU ‎CALIFE DES MUSULMANS, IL S’ASSEYAIT DANS SON PALAIS SOUS L’AUTORITE DES ‎ANGLAIS OCCUPANT SA CAPITALE, IMMOBILE ET MUET…“» (Cf : Boualem Bessaïeh in ‎‎« L’Algérie belle et rebelle, de Jugurtha à Novembre », Ed. Anep, Alger, 2004). ‎

Quelle autre personnalité religieuse l’a fait, quel alem dirait aujourd’hui quelque bien de cet ‎homme ? ‎

Il n’y a pas qu’un hommage dans ce texte, il recèle une vision de l’avenir qui ne pouvait être ‎comprise qu’aujourd’hui. Effectivement, Atatürk a sauvé la Turquie et en a fait une nation ‎moderne, libre et souveraine. Or voici que l’AKP a pu, à partir de cet acquis, lui restituer ‎dans la paix et la sérénité son identité.‎

Le leader turc s’est essayé à quelque chose d’irréalisable : on ne change pas de force l’âme ‎d’un peuple ; une âme n’est pas un organe qu’on peut remplacer par un autre. Le ‎colonialisme s’y est essayé en Algérie, comme le communisme dans le monde slave, avec ‎exactement le même échec. On peut par contre la dépoussiérer et la faire évoluer si elle est ‎persuadée de l’intérêt et de la justesse de l’évolution proposée.‎

‎« Le Soir d’Algérie » du 19 février 2012‎

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