Les révolutions pour la démocratie dans le monde arabe se suivent et se ressemblent à leur début, mais se différencient dans leur dénouement. Tablant sur les vertus instructives de l’exemple, considérons les pays où l’irréparable n’est pas encore survenu : Algérie, Soudan, monarchies du Golfe…
Comme tout le monde, leurs dirigeants ont suivi ce qui s’est passé et constaté que la répression ne servait à rien, sinon à alourdir inutilement la facture. Ont-ils tiré les leçons de ces évènements qui se reproduiront immanquablement chez eux à plus ou moins long terme ? Se sont-ils mis à la recherche de ce qu’il convient de faire pour prémunir leurs pays contre de tels drames ? Déploient-ils dans le secret de leurs palais une rare intelligence pour les éviter, ou se contentent-ils de marmonner, un chapelet à la main, « Allah yastar ! » (Que Dieu nous préserve !) tout en se préparant à rééditer chez eux ce qu’ont vainement fait Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et Saleh ? Le premier était sourd, le second aveugle, le troisième hystérique et le quatrième autiste. Eux, pour l’instant, entendent, voient, ont tous leurs esprits et sont en plus ou moins bonne santé.
Ce qu’on a remarqué jusqu’ici, c’est que les pouvoirs contestés se comportent comme s’ils étaient condamnés à passer par le même cycle : manifestations, répression, discours décalé… On vient de le voir en Syrie : le cap des cent morts atteint, le régime cède : levée de l’état d’urgence, multipartisme, liberté de la presse, augmentation des salaires… Pourquoi ne pas l’avoir fait avant que le sang ne coule ?
En Tunisie et en Egypte nous avons eu droit à peu de choses près au même scenario. L’existence dans ces pays d’Etats solides et d’armées bien organisées a empêché des dérapages plus graves et des pertes humaines plus lourdes.
Les forces armées, contrairement à la police, n’ont pas tiré sur les manifestants et leurs chefs, chose jamais vue, sont descendus dans la rue pour leur parler. Elles ont pris position en faveur du peuple et justifié le déploiement de leurs unités par le souci d’assurer sa sécurité. Elles sont restées unies sous le même commandement, et beaucoup pensent qu’elles ont aidé à convaincre les despotes de partir pour épargner au pays de plus grands malheurs. C’est le bon sens même : il est plus facile de faire déménager un homme ou un groupe d’hommes qu’un peuple résolu.
Il faut dire que les chars n’impressionnaient pas grand monde. On écrivait au spray des slogans sur leurs flancs, on montait dessus pour fraterniser avec l’équipage, et on se couchait dessous pour les empêcher de se mettre en mouvement. A Benghazi, on a vu des insurgés jouer dans la rue avec des chars comme avec des auto-tamponneuses dans une foire.
Le deuxième scenarioest celui qui a prévalu au Yémen et en Libye. Dans ce dernier pays où n’existait pas un Etat structuré et une armée classique, on n’a pas vu de détachements des forces anti émeutes, de bombes lacrymogènes ou de matraques, mais tout de suite les blindés, les RPG et les bombardements aériens.
Les manifestations ont très vite dégénéré en affrontements armés suivis de défections dans l’équipe dirigeante et dans le corps diplomatique. Puis ce fut la guerre, la création du Conseil national transitoire, la division du pays et finalement l’intervention de l’étranger.
Kadhafi n’a pas suivi l’exemple tout frais de Ben Ali et de Moubarak, il a dû trouver plus héroïque celui de Saddam : rester au pouvoir jusqu’au bout, jusqu’à la destruction du pays, jusqu’à sa capture dans un trou, son examen sommaire par un médecin et enfin sa pendaison.
Au Yémen, la répression n’avait pas pris de dimension catastrophique avant la journée fatidique du vendredi 18 mars où une soixantaine de manifestants ont été abattus d’un coup, provoquant une vague de démissions de ministres, de hauts gradés militaires, de diplomates, de députés et de chefs de tribus encore plus spectaculaire que celle observée en Libye.
Alors que le pays se dérobait sous ses pieds, que l’Etat perdait ses piliers, que son parti se dépeuplait, Ali Abdallah Saleh répétait mot pour mot les menaces entendues dans la bouche des Kadhafi père et fils : le peuple est armé, la société est tribale, la guerre civile est inévitable, le pays sera dépecé…
Le despote a tout envisagé et a passé en revue les pires cauchemars mais l’issue la plus honorable pour lui, la plus pacifique pour son peuple et la moins coûteuse pour tous ne lui a pas traversé l’esprit : s’en aller. Sa proposition de tenir des élections parlementaires et présidentielle à la fin de l’année, venue trop tard, a été repoussée.
Le Yémen est une société tribale certes, mais c’est l’unité nationale et la démocratie qui ont été revendiquées et martelées par les manifestants depuis le début. La révolution n’est pas née dans les tribus, elle est apparue sur une place publique. Ce sont elles qui sont venues à la révolution. Les personnes sont venues à l’idée et se sont placées sous son égide. Et cette idée, c’est la démocratie, la république, le règne des institutions et des libertés.
Les chefs de tribus ont défilé à « Sahat Taghyir » pour soutenir les demandes de la jeunesse et afficher leur adhésion aux idéaux unionistes et démocratiques de la révolution. Ils ont proclamé leur ralliement à des jeunes qui ne possédaient ni état-major, ni moyens quelconques.
L’adresse du peuple en période de révolution, c’est la rue. Il siège en plein air et dort à la belle étoile ou sous des tentes. C’est là qu’il reçoit les allégeances et les médias. Le despote, lui, occupe toujours un palais de plus en plus déserté.
En Libye et au Yémen, le pouvoir a encouragé et nourri le système tribal parce qu’il ne concevait pas de meilleur rôle pour lui que celui d’arbitre au-dessus de la mêlée, de gardien du temple, de garant de la cohésion et de l’indépendance nationales. Or voici que tribus, chefs de guerre, imams et généraux rejoignent la revendication populaire.
La sentence politique que connaissent sans exception les despotes arabes et qu’ils ont prononcée des milliers de fois dans leurs discours est « diviser pour régner ». Ils se sont évertués à instiller dans l’esprit des peuples le sentiment que, sans eux, le pays sombrerait dans l’anarchie et la guerre civile avant d’être envahi par l’étranger pour piller ses richesses.
ÇA A ETE LEUR CHEVAL DE BATAILLE, LEUR ARGUMENT-MAITRE POUR EMPECHER L’AVENEMENT D’UNE VIE POLITIQUE DEMOCRATIQUE. LA « NON-INGERENCE DANS LES AFFAIRES INTERIEURES » A LAQUELLE ILS SEMBLAIENT SI ATTACHES LEUR SERVAIT EN REALITE A CACHER AU REGARD ETRANGER LEURS ABUS, LEURS EXCES, LEURS RAPINES ET LA TRANSMISSION DU POUVOIR A LEURS HERITIERS.
ILS ONT LONGTEMPS GLOSE SUR « L’AUTODETERMINATION DES PEUPLES », MAIS QUAND CEUX-CI ONT VOULU S’AUTODETERMINER, RECOUVRER LEUR SOUVERAINETE, CHOISIR LEURS GOUVERNANTS, ILS N’ONT EU POUR REPONSE QUE LA REPRESSION A BALLES REELLES ET LES BOMBARDEMENTS AERIENS.
C’est la première fois dans l’Histoire des révolutions que l’on a vu les autorités militaires d’un pays se détacher du pouvoir pour prendre le parti des manifestants.
Dans les quatre pays l’armée s’est rangée en totalité (Tunisie, Egypte) ou en grande partie (Libye, Yémen) du côté des manifestants et a reconnu qu’ils incarnaient la légitimité populaire. Elle n’a pas manœuvré pour confisquer les fruits de leur courage et de leurs sacrifices, et ne s’est pas proposée comme alternative au despote déchu. Elle a fusionné avec les masses dont elle émane, au service desquelles elle était nominalement mais pas réellement. Voilà qu’elle l’est désormais, prête en Libye et au Yémen à en découdre avec le despote et ceux qui lui sont restés fidèles.
Bientôt on pourra dire sans rire dans les pays arabes que l’armée appartient au peuple car auparavant c’est l’inverse qui était vrai.
L’ARMEE AVAIT UN PAYS, UN DRAPEAU ET EXERÇAIT SON AUTORITE SUR LES HABITANTS SANS TENIR COMPTE DE LEURS ASPIRATIONS ET DROITS POLITIQUES. LES SEULES VICTOIRES RECONNUES AUX ARMEES ARABES ETAIENT CELLES REMPORTEES CONTRE LEURS PEUPLES. LES COUPS D’ETAT SE FAISAIENT AU NOM DE LA « REVOLUTION » ET SE RETOURNAIENT SYSTEMATIQUEMENT CONTRE LES PEUPLES EN DEVENANT DES DICTATURES. CETTE PAGE EST EN TRAIN D’ETRE TOURNEE.
Ce qu’on a dit dans les précédents articles sur les peuples arabes pour expliquer leur métamorphose vaut pour les armées tunisienne et égyptienne, et en partie pour les armées libyenne et yéménite. Elles se sont mentalement renouvelées avec l’arrivée à des postes de commandement de générations qui ont regardé, écouté et intégré ce qui se passait dans le monde. Espérons qu’il en sera de même en Syrie où l’armée n’a pas tiré depuis quarante ans une seule balle contre Israël qui a annexé le Golan et bombarde périodiquement ses batteries de missiles ou ses installations nucléaires civiles.
IL VA DE SOI QUE C’EST CE QUE NOUS ESPERONS AUSSI POUR NOTRE PAYS LE JOUR OU LE PEUPLE SE SOULEVERA, CAR IL SE SOULEVERA POUR LES RAISONS QUE NOUS AVONS ESQUISSEES PRECEDEMMENT ET SUR LESQUELLES NOUS REVIENDRONS ENCORE.
Dans cette perspective, les responsables de l’aménagement du territoire devraient songer à construire rapidement de grandes « Place de la Liberté » dans les villes de plus de cent mille habitants en commençant par Alger où la « Place du 1er Mai » et la « Place des Martyrs » ne peuvent accueillir que quelques centaines de manifestants selon des évaluations précises et toutes fraîches émanant du ministère de l’Intérieur. Etant donné l’urgence, la tâche peut être menée en quelques semaines mais il ne faut pas qu’on propose aux Algérois de manifester à Boughezoul.
On ne communie pas que dans les mosquées. DES LORS, LE FARAMINEUX BUDGET RESERVE A LA GRANDE MOSQUEE D’ALGER QUI N’EST PLUS DANS LE CONTEXTE ACTUEL UNE PRIORITE POURRAIT FINANCER CES PROJETS, ET LE TERRAIN D’ASSIETTE PREVU POUR ELLE A MOHAMMADIA REAFFECTE AU FUTUR « MAYDAN TAHRIR » DE LA CAPITALE.
Des deux scenarii évoqués, lequel est susceptible de se réaliser chez nous ? Le changement à moindre frais qui a eu lieu en Tunisie et en Egypte, ou l’impasse tragique dans laquelle se sont retrouvés la Libye et le Yémen ?
Imaginons ce que pourrait être le premier scenario : après plusieurs tentatives infructueuses, la « génération Facebook » algérienne réussit à mobiliser à travers les principales villes un vaste mouvement de protestation durement réprimé par les forces de l’ordre.
Après plusieurs centaines de morts et l’indignation de l’opinion publique mondiale, les militants et les leaders des organisations de la société civile et des partis politiques se précipitent à la « Place de la Liberté» pour apporter leur appui, leur notoriété et la couverture de leur légalité au mouvement de la jeunesse.
Celle-ci ne désempare pas malgré les provocations de « Baltaguia » des partis administratifs et continue d’exiger le départ du pouvoir, la dissolution des partis de l’alliance qui le soutient, le démantèlement de la police politique, l’élaboration d’une nouvelle Constitution et LA MISE SUR RAILS D’UNE NOUVELLE ALGERIE.
Devant le blocage de la situation, la recrudescence de la violence et le risque d’une condamnation par l’ONU, l’équivalent chez nous du général Rachid Ammar se rend à Mohammadia pour assurer de son soutien la jeunesse. Puis c’est l’équivalent du général Omar Souleiman qui reçoit une délégation de jeunes en son bureau sous les projecteurs des télévisions et discute avec eux la feuille de route à appliquer pour sortir le pays de la crise.
Les demandes sont toutes satisfaites et les choses rentrent progressivement dans l’ordre sous l’égide de LA NOUVELLE REPUBLIQUE.
Deuxième scenario : plus d’un million d’Algériens campent depuis quinze jours sur la « Place de la Liberté» à Alger et quelques centaines de milliers d’autres à Oran, Tizi-Ouzou, Constantine, Annaba, Béchar, etc, pour demander LE DEPART DU « SYSTEME » DANS SA TOTALITE.
LE PAYS EST PARALYSE ET LES ALGERIENS A L’ETRANGER SONT TRES ACTIFS AUPRES DES MEDIAS, DES ETATS, DES ONG ET DES INSTITUTIONS INTERNATIONALES.
LE PRESIDENT A DEJA FAIT UN DISCOURS POUR ASSURER QU’IL N’Y AURA PAS DE QUATRIEME MANDAT, DEMENTIR QU’IL PREPARAIT LA TRANSMISSION DU POUVOIR A SON FRERE, ET QU’IL VEILLERAIT A CE QUE DE VERITABLES REFORMES SOIENT MENEES AU LIEU DE CELLES ANNONCEES QUELQUES JOURS PLUS TOT. LES MANIFESTANTS NE VEULENT RIEN ENTENDRE ET S’ARCBOUTENT A LEURS EXIGENCES.
On a dénombré 874 morts et 3964 blessés dans diverses opérations de répression depuis le début des affrontements, et les chaînes satellitaires couvrent 24H les évènements. L’opinion internationale n’a d’yeux que pour l’Algérie et les présidents Sarkozy et Obama ne dorment plus de lire les rapports alarmants sur les islamistes qui sont revenus en force et tentent de circonscrire la jeunesse révolutionnaire. Des unités de la VIème flotte et de l’OTAN ont pris position au large des côtes, et le Conseil de sécurité de l’ONU étudie un projet de résolution.
Il n’y a plus de canaux de communication entre le pouvoir et les insurgés. C’est alors que deux chefs de régions militaires et une trentaine d’officiers supérieurs entre généraux et colonels de différents corps, n’en pouvant plus de voir leur pays aller à la dérive, apparaissent sur les écrans d’ « Al-Jazeera » pour déclarer dans un arabe impeccable leur alignement sur les revendications du peuple…
Je ne saurai vous dire ce que pourrait être la suite…
Il y a un troisième scenario de changement possible dans les pays où il ne s’est encore rien passé : le despote comprend que le temps est au changement ; il préfère précéder les évènements et appelle à des élections législatives et présidentielle à laquelle il pourrait concourir s’il veut être fixé sur les sentiments du peuple à son égard. Ceci pour les « républiques ».
Dans les monarchies, le problème se présente autrement. Les revendications portent sur l’instauration d’une monarchie constitutionnelle. Si elles sont jugées recevables, la contestation cesse et le dialogue commence. Si elles sont rejetées « globalement et dans le détail » comme aiment à dire les gouvernants arabes, l’antagonisme, nourri par la violence et la contre-violence, s’exacerbe et le niveau des revendications s’élève : les manifestants exigent désormais la transformation de leur pays en République.
AU FAIT, A QUI APPARTIENT UN PAYS ? A SES HABITANTS OU A SES DIRIGEANTS ? TANT QUE LES HABITANTS N’AVAIENT PAS POSE LA QUESTION, TANT QU’ILS N’EN AVAIENT PAS RECLAME LA PROPRIETE, LES MONARQUES FAISAIENT ACCROIRE QUE C’ETAIT UN BIEN FAMILIAL TRANSMIS PAR HERITAGE, ET LES PRESIDENTS A VIE UN BUTIN ARRACHE PAR LA FORCE AU COLONIALISME.
Maintenant que les peuples ont engagé des procédures en réappropriation, les despotes pourront-ils leur opposer un titre de propriété homologué par la Cour de la Haye ? Car ce qui se passe évoque une querelle d’héritage. En Egypte, au Yémen et en Libye c’est la présidence à vie, suivie de l’intention du despote de transmettre le pouvoir à son fils après un simulacre d’élections (ou sans dans le cas libyen) qui a été le facteur déclencheur de la révolution.
Le coût de la révolution a été d’environ quatre cents morts en Tunisie pour dix millions d’habitants, et le double en Egypte pour une population de quatre-vingt-cinq millions d’habitants.
La révolution égyptienne a donc coûté quatre fois moins cher qu’en Tunisie. Au Yémen, on n’a pas encore atteint, à l’heure où j’écris, la centaine de morts pour une population de vingt-cinq millions d’habitants, alors qu’en Libye on a dépassé les huit mille morts, hors victimes conséquentes à l’intervention étrangère.
Les prochaines révolutions devraient coûter moins cher, mais on ne peut jurer de rien. On va voir comment réagira dans les prochains jours, semaines ou mois, le marché des valeurs mobilières révolutionnaires au Maroc, au Soudan, en Algérie, en Jordanie et en Syrie. Dans ce dernier pays il y a eu cent morts en une seule salve et dans la seule ville de Derâa, puis d’autres les jours suivants. Ce n’est pas une nouveauté. Assad père a tué d’une seule traite plusieurs milliers de « Frères musulmans » dans les années quatre-vingt et détruit totalement la ville de Hama.
Dans les monarchies du Golfe, hors Bahreïn et Oman où une demande s’est manifestée, on ne sait pas s’il existe une demande sur ces actions.
(« Le Soir d’Algérie » du 30 mars 2011)