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L’ALGERIE DE PIS EN MAL : BILAN D’UNE INDEPENDANCE

by admin

En cette trente-sixième année de leur indépendance,les Algériens sont dans un état d’esprit tel qu’ils nes’attendent plus à recevoir de bonnes nouvelles,mais à supplier le sort de leur en épargner de plusmauvaises encore.Ils ne rêvent plus du meilleur, ilsredoutent seulement que le piren’ait pas de limites. Les seulesbonnes nouvelles de l’année, car liy en a eu quand même, ça a été lesnuages porteurs de pluie que desvents cléments ont poussés dansnotre direction.

Sous la colonisation, l’Algérieallait de mal en pis. Depuis l’indépendance, elle essaie d’aller de pisen mal, c’est-à-dire de descendredu plus de crans possibles dansl’échelle de l’humiliation, de l’injustice et de la misère. Le 5 juillet 1962,les Algériens prouvaient à unmonde en admiration qu’ils étaientune nation.Aujourd’hui, c’est à eux-mêmesqu’ils s’efforcent de le prouver.

Ilsavaient cru pouvoir régler avec desmots des problèmes structurels etséculaires, ils pensaient qu’il suffisait de le dire pour être effectivement une société, un Etat, unedémocratie, une économie, maisvoilà que les affirmations péremptoires se sont révélées impuissantes à se transformer en réalitésdéfinitives.

La première expérience d’édification nationale tentée entre 1962 et1988 s’est avérée non concluanteparce qu’à la différence de la révolution de Novembre qui s’était arcboutée sur les ressorts profonds del’Algérie et ses caractéristiques fondamentales, elle avait consisté àimplanter sur la terre et dans l’âmealgériennes un système de gestionpolitique et économique qui nonseulement ne cadrait pas avec lesdonnées psychologiques du sujet,mais s’inscrivait carrément en fauxcontre elles.

A vrai dire ce projet n’avait pasen vue le bonheur des Algériens,mais la réussite théorique du « redressement révolutionnaire »entamé le 19 juin 1965.Il ne poursuivait pas la construction d’une réalité, la société algérienne, mais celle d’une chimère, le « socialismealgérien ». L’homme quiétait honoré et sublimé dans les discours n’était pas l’Algérien réel,l’homme concret de tous les jours,mais une abstraction, un thème depalabres, un sujet d’inspiration. Levrai Algérien, lui, était quotidiennement humilié, privé de ses libertés,livré aux pénuries et à la hogra.

IL LUI ETAIT DEFENDU DE DEVENIR LA REALITE PROJETEE PAR LE DISCOURS OFFICIEL !

Ne saisissant par son utilitésociale, son rôle et sa nécessitédans le processus d’édification envisagé, l’Algérien se résigna à lapassivité et à l’assistanat. Il avaitcompris de tout cela qu’il n’était niun agent économique libre, ni uncontribuable indispensable, ni unélecteur souverain.

Toute vie associative qui aurait pu contribuer àson éducation civique lui fut refusée, toute opposition qui aurait pule préparer à s’organiser pacifiquement fut prohibée, et toute velléitéde différenciation culturelle réprimée.

LE POUVOIR NE SOUHAITAIT PAS QUE LES ALGERIENS DEVIENNENT UNE SOCIETE DE PERSONNES, DES ENTITES CONSCIENTES D’ELLES-MEMES ET RESPONSABLES DE LEUR SORT COMMUN, MAIS QU’ILS RESTENT DES « MASSES POPULAIRES », UN « GACHI » DOCILE ET SOUMIS.

Un tel «projet de société ne pouvait pas réussir car il reposait sur unfaux postulat selon lequel l’Etat étaitun démiurge prodiguant à discrétionbienfaits et châtiments, et le citoyenun simple ventre à nourrir encontrepartie de son silence et de sarésignation

Quand il n’eut plus, à partir de1986, assez d’argent pour financerla gabegie générale, quand il n’eutplus assez de force pour porter àbout-de-bras la nation improductive,l’Etat prodigue, l’Etat infortuné,l’Etat désargenté s’affala tel unbœuf et fut chargé de tous lesmaux.

On l’accusa de vol et de « kofr » et on affûta les couteaux. De largespans de la population se mirent àrêver à haute voix d’un Etat idéal,d’un Etat où la justice et la loi deDieu régneraient. L’ETAT ISLAMIQUE N’ETAIT PAS ENCORE DEFINI QU’ON SAVAIT DEJA QU’EN L’OCCURRENCE C’ETAIT L’ANTI-ETAT ALGERIEN.

La rue trouva rapidement en sonsein des mandataires pour exploiterl’ire populaire et la canaliser vers leparti qui remporta les suffrages enjuin 1990 et décembre 1991.L’effondrement devait être le termefinal d’une aventure commencéedans la fête et terminée dans leslarmes.

Comme un mauvais ouvrage surlequel on est obligé de revenir, lesAlgériens s’évertuent à refaire leurpays sur de nouvelles bases. Unautre « redressement », celui deZeroual cette fois, leur fut proposéen 1995. Ils avaient auparavant vainement attendu que la nouvelleopposition leur présente une alternative, mais celle-ci ne fut pas enétat de le faire car elle s’était enlisée dans les « açabiyate» comme ons’enlise dans des sables mouvants.Elle n’offrait aucune perspectivecommune, aucune issue desecours.

L’islamiste et le démocrateétaient dans la situation parfaite dedeux étrangers vivant sous unmême toit où chacun s’entête àimposer à l’autre ses convictions etson mode de vie. Les açabiyate,c’est la réplique d’un peuple en vracà un pouvoir monolithique. LesAlgériens s’en sont emparés pourfrapper le pouvoir comme ons’empare de blocs de pierres dansune intifada pour les jeter à la figure de l’ennemi.

Allant jusqu’au boutde sa logique, l’islamisme se fracassa sur le roc de la réalité.Il n’ensubsiste que des ersatz encanaillésque le pouvoir crut utile de recycler.Le berbérisme, lui, s’est dès le début emprisonné et entouré de filsbarbelés : personne n’en sort, personne n’y entre.Le pouvoir eut alors toute latitude de revenir à ses anciennes habitudes.

Un régime du type algérienne peut exister que dans un payscomme l’Algérie ou n’existe pas uneconscience électorale au fait desenjeux et de l’intérêt général et oùla société, à l’image de l’opposition,est fragmentée en courants de pensée inconciliables.

SEULS UN SENS DE L’HONNETETE A TOUTE EPREUVE, UN PUISSANT SENTIMENT NATIONAL ET UNE FORTE CONSCIENCE SOCIALE INCARNES PAR UNE CLASSE POLITIQUE NOUVELLE ET COMPETENTE, PERMETTRONT UN JOUR A L’ALGERIE DE DISPOSER ENFIN DE L’ETAT QU’ELLE MERITE.

L’alternative au pouvoir actuel, les partis politiques nela réaliseront pas en additionnantleurs açabiyate mais en exorcisantces dernières, en les abandonnantau profit d’une vision réaliste etpragmatique.

LE POUVOIR POSSEDE UNE POLICE, UN APPAREIL JUDICIAIRE, UN FISC, DES PRISONS, UNE TELEVISION, UNE BANQUE CENTRALE, DES AMBASSADES, SONATRACH…  VOILA A PEU PRES AVEC QUOI IL A TOUJOURS TENU LE PAYS.

EN FACE, IL Y A UNE POUSSIERE D’INDIVIDUS ATOMISES OU AGGLUTINES AUTOUR D’IDEOLOGIES SECTAIRES ET ANACHRONIQUES, ET UNE POIGNEE DE LEADERS POLITIQUES AUX DOSSIERS CHARGES POUR LA PLUPART. CE N’EST PAS CELA UNE SOCIETE, UN ETAT, UNE NATION, UNE DEMOCRATIE, CE NE SONT QUE QUELQUES-UNES DES FORMES PRIMITIVES ET SOUS-DEVELOPPEES QUE PEUT REVETIR UN PAYS.

CE POUVOIR N’EST PAS CREATIF, IL EST REPRESSIF. IL NE POSSEDE PAS DE PENSEE, IL VIT DE SOLENNITES ET DE PROTOCOLE. IL N’IMPRESSIONNE PAS PAR SA FACONDE OU SON MAINTIEN MAJESTUEUX, MAIS PAR SON ABSENCE DE SCRUPULES A HUMILIER L’INTELLIGENCE ET A ECRASER LES LIBERTES.

L’AUTORITE DE L’ETAT, LES CITOYENS NE L’ONT EN FAIT PERÇUE QU’A TRAVERS LA DURETE DES MATRAQUES ET LA FACILITE DE LA GÂCHETTE, COMME EN OCTOBRE 1988.

Au cours des trois dernièresdécennies, trois nouveaux typeshumains ont enrichi le paysagesociologique algérien : le hittistedans les années 70, le trabendistedans les années 80 et le terroristedans les années 90. Ils ne se sontpas relayés, mais se sont surajoutés l’un à l’autre.Le cas échéant, chacun d’entreeux peut se retrouver dans la position de l’autre.

Au cours de cettemême période, nous avons exportébeaucoup de pétrole, un peu de raiet la presque totalité de notrematière grise. En échange, nousavons hérité d’une belle et grossedette.

AIMER SON PAYS, CE N’EST PAS AIMER L’HERBE ET LES ARBRES QUI Y POUSSENT, LA COULEUR DE SON CIEL ET DE SA MER, SES MONTAGNES ET SES VALLEES, CELA EST L’ŒUVRE DE LA NATURE. C’EST AIMER SES VALEURS ET SES LOIS, SA JUSTICE ET SES INSTITUTIONS, SES RAPPORTS SOCIAUX ET SES CREATIONS, C’EST-A-DIRE L’OEUVRE DE SES HOMMES.

Qu’a-t-on laissé aupeuple algérien qu’il puisse aimer :la dette extérieure ? le chômage ?l’insécurité ? l’injustice ? la fraude électorale ?

L’environnement a étégravement endommagé, les villes croulent sous la saleté, les routes sont dans un état lamentable, la vie est chère, l’eau de plus en plus rare, l’électricité onéreuse… Qu’y a-t-il donc à aimer : les pétards du Mouloud ? le mouton de l’Aid ? le « hwa » et le « rih » d’Algérie ? Ces joies-là ne sont pas d’aujourd’hui et on ne les doit pas au pouvoir.

Les Algériens aspirent à être liés à leur pays par des liens objectifs et matériels et non fictifs et sentimentaux. L’Algérie doit concrètementdevenir le bien des Algériens, et non rester une vache à traire jusqu’à l’assèchement définitif par ses dirigeants successifs.

LES ATTEINTES A L’UNITE NATIONALE LES PLUS INQUIETANTES NE VIENNENT PAS DE KABYLIE OU DE TAMANRASSET, C’EST LE POUVOIR QUI LES COMMET EN PERMANENCE EN CULTIVANT SON PROPRE REGIONALISME, EN DIVISANT LE PEUPLE EN FAMILLE REVOLUTIONNAIRE ET RESTEDE LA POPULATION, EN DETOURNANT LE VOTEDES ELECTEURS, EN TOLERANT QUE DE HAUTS PERSONNAGES DE L’ETAT USENT DE SES MOYENS POUR S’ENRICHIR ET SESERVENT DE SES INSTITUTIONS POUR TERRORISER CEUX QUI LES DENONCENT.

LE DROIT ET LA LOI NE SONT INVOQUES AVEC FERMETE ET FRONCEMENT DE SOURCILS QUE LORSQU’IL S’AGIT DE REPRIMER CEUX QUI PROTESTENT, JAMAIS QUAND IL S’AGIT DE LA CORRUPTION DES PUISSANTS, DE LEUR ENRICHISSEMENT ILLICITE, DE LEURS ABUS DE POUVOIR.

C’EST DONC CELA LA POLITIQUE DE « REDRESSEMENT NATIONAL » DE M. ZEROUAL ?

La semaine dernière nous lisions avec effarement dans les colonnes de plusieurs journaux le témoignage d’un citoyen banni de son pays (Hocine Bensaad) pour avoir prononcé dans un meeting le nom d’un homme au pouvoir (le général Betchine).Si les faits rapportés sont faux, il faudra les démentir ; s’ils sont justes, il ne sera pas possible defaire comme s’ils n’ont jamais été portés à la connaissance du public car ILS SE RAPPORTENT A QUELQU’UN QUI SE TROUVE ETRE L’HOMME LE PLUS PROCHE DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE.

De nombreux citoyens nous ont contacté ces derniers temps qui par écrit, qui par téléphone, qui en se présentant à notre siège, pour faire état de faits similaires. Que faire ? Refuser de les écouter, les aiguiller sur le médiateur de la République, la justice, la police ?Leur conseiller de patienter jusqu’au jour de la résurrection ?

Où sont donc l’Etat de droit, l’actionpublique, lamédiature et les multiples institutions censées combattre les atteintes au droit et à lamorale publique ?Le président rappelait récemment que la liberté de pensée et d’opinion était garantie. Il a maintes fois affirmé que nul n’était au-dessus des lois. Pourtant, les derniers événements que nous avons personnellement vécus, ce que nous avons pu lire dans les journaux et entendre de la bouche de citoyens, parfois preuves à l’appui, nous lais- sent profondément sceptique.

EN ALGERIE, IL Y A TOUJOURS EU ET IL Y A ENCORE DES HOMMES AU-DESSUS DES LOIS, DES HOMMES QUI FOULENT AUX PIEDS LA MORALE PUBLIQUE, DES HOMMES QUI DISPOSENT A LEURS FINS PERSONNELLES ET MAFIEUSESDES APPAREILS DE L’ETAT.

CE GENRE D’HOMMES PEUT SE TARGUER D’ETRE EFFECTIVEMENT « INDEPENDANT ». QUANT AUX AUTRES, CEUX QUI SONT BIEN AU-DESSOUS DES LOIS, CEUX QUI OSENT TIRER LE LION PAR LES POILS DE LA MOUSTACHE, CEUX-LA PEUVENT S’ESTIMER HEUREUX DE POSSEDER UNE NATIONALITE ET DE VIVRE, SOUS L’INDEPENDANCE DES PREMIERS, DE « HWA » ET DE « RIH ».

Il ne manque pas beaucoup de choses à l’Algérie pour être heureuse, Ô malheureux Algériens ! Pour qu’elle passe du mauvais aumeilleur, il suffit d’éloigner des postes de commande les hommes qui ne méritent pas d’y être, et de les remplacer par des hommes honnêtes et compétents.Mais combien de morts et d’années faudra-t-il encore avant d’y parvenir ?

Feu Boudiaf disaitqu’il n’avait pas trouvé soixante personnes honnêtes pour meubler le CCN. Il parlait peut-être de ceux dont il était entouré car il en existe par millions en Algérie. Cent personnes peuvent suffire pour remettre à l’endroit un pays qui n’en peut plus d’être àl’envers !

Tant de générosité chez le peuple, tant d’énergie chez les jeunes, tant de détermination chez les femmes, tant de talent dans la presse… Comment n’en est-il pas sorti UNE AUTRE, UNE NOUVELLE, UNE VERITABLE ALGERIE ?

“El-Watan” du 14 juillet 1998

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