C’est, à n’en point douter, un grand honneur pour l’Algérie d’accueillir dans son principal centre de rayonnement culturel – l’Université Emir Abdelkader de Constantine – un homme de l’envergure de Mohamed El-Ghazali. C’est un non moins grand honneur pour elle de donner régulièrement la parole (Causerie du lundi, conférences publiques) à un esprit aussi éminent et aussi averti des problèmes de notre temps. Tout l’avantage, tout le profit est en fait pour elle, pour son peuple et ses dirigeants, pour ses étudiants et ses intellectuels, pour ses jeunes et ses adultes.
Ce grand homme, célèbre dans le monde pour son militantisme et ses écrits, pour son authenticité et son courage, a connu la persécution et l’exil, la privation et la calomnie, la conspiration du silence et les outrances d’une certaine raison d’Etat.
Les idées de Mohamed El-Ghazali rencontrent un profond succès auprès de notre peuple parce qu’elles sont formulées avec sincérité et simplicité : ni sempiternelles reprises d’arguments archi-connus, ni généralisations chloroformantes. Elles frappent par leur actualité, par les rapports qu’elles entretiennent avec nos préoccupations du moment. Elles détonnent par leur puissance et leur précision, par leur caractère universel et critique, par leur orientation vers l’action efficace et l’amende honorable.
L’homme parle avec le cœur et la raison. C’est un éveilleur, un éducateur, un morigénérateur à l’image de Socrate, de Confucius, de Nietzsche, d’Abou Dharr ou d’Ibn Taymiyya. Il s’empare d’un problème délicat – la limitation des naissances par exemple – et voilà que la question devient limpide, avec ses tenants et ses aboutissants au grand complet. Sans la complaisance ni les égards « politiques » auxquels nous ont habitués quelques faux alems de chez nous.
El-Ghazali est tout sauf un endormeur, un bonimenteur ou un répétiteur de litanies. Il dérange son auditeur, le secoue, le brutalise en touchant de plein fouet ce qu’il dissimule au fond de lui ou ce qu’il recèle inconsciemment d’ignorance ou d’autosatisfaction injustifiée.
Il ne passe pas de baume, n’anesthésie pas mais bouscule, corrige, perfectionne ce qui est perfectible en nous. Dans sa bouche, à travers les éclairages inhabituels qu’il en donne, l’islam prend un relief nouveau, surprenant parfois, mais toujours conforme à l’idée qu’on a obscurément de ce que devrait être le « naturel », le « hanif », le « vrai ».
Une des preuves du succès de son ministère est que les gens, après chacune de ses interventions, en parlent, en discutent entre eux. Dans les chaumières, les causeries du lundi deviennent de plus en plus un sujet de commentaire, voire la cause de gentils affrontements, comme celui que n’a certainement pas manqué de susciter dans quelques foyers sa déclaration au sujet de la nature de la relation qu’entretiennent la plupart d’entre nous avec leur femme : réduite à sa plus simple expression.
C’est cela même qui lui vaut respect et admiration, fort pourcentage d’écoute et suivi soutenu. C’est ce qui aurait justifié mieux qu’un billet rédigé à la hâte.
« Algérie-Actualité » du 9 janvier 1986