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LE DOCTEUR KHALDI N’EST PLUS

by admin

Les bonnes gens qui venaient tous les après-midi s’entasser dans les salles d’attente du cabinet du Dr Khaldi, situé en haut de l’ex rue Rovigo, ne savent plus quoi faire de consternation. Ils ne veulent pas croire que celui qui les a soignés de si longue mémoire et souvent bénévolement ne se penchera plus jamais sur leurs maux pour les soulager et ramener dans leur cœur la joie de vivre en bonne santé. Non, leur docteur ne peut pas les avoir quitté comme ça, si subitement ! Et pourtant.

Le petit mendiant d’une douzaine d’années qui venait tous les soirs guetter la sortie de l’âme charitable qui entretenait généreusement cette habitude ne comprendra pas lui non plus pourquoi le docteur a failli à la tradition hier, avant hier et encore aujourd’hui. Lorsqu’il saura il pleurera à chaudes larmes, comme les propres enfants du défunt. Chacun sait qu’il n’est pas éternel, que l’autre aussi ne l’est pas, que tout ce qui existe doit cesser de l’être un jour, mais nul ne se rend à cette évidence que lorsqu’il apprend la disparition d’un proche…

Quant la nouvelle éclata, toutes les oreilles la refusèrent. Ce n’était pas possible ! Le Dr Khaldi ne peut pas être mort ! Tout le monde, mais pas lui ! Hélas ! La fatalité a une fois de plus rappelé sa présence si proche de nous et le grand homme a répondu à l’appel de la miséricorde. Il est parti pour de bon, laissant à la jeunesse un monumental exemple de militantisme et d’honnêteté, et son corps repose désormais à Sidi M’hamed près de la tombe de Ali El Hammamy, l’ancien compagnon de Ho Chi Minh, mort dans un accident d’avion en 1948, et pour lequel le Dr Khaldi avait une grande admiration renforcée par une correspondance épistolaire de plusieurs mois.

Etranges destinés que celle de ces deux nobles fils de l’Algérie qui reposent aujourd’hui côte à côte. Quelque temps avant sa mort Ali Hammany écrivait du Caire un billet à la mémoire de Hadj Ali, le fondateur de « l’Etoile Nord Africaine » qui venait de décéder. Ce billet paru dans la « République Algérienne » avait pour titre : « Adieu Hadj Ali ». Quelques jours plus tard Ali El Hammany disparaissait tragiquement et ce billet fut le dernier de la série qui parut dans le même organe. Or, on se rappelle qu’il y a un mois environ le Dr Khaldi publiait dans « El-Moudjahid » (22 février 1972) un billet dans lequel il saluait la mort d’Edgar Snow, le journaliste américain qui a connu le mieux la Révolution chinoise. Il avait pour titre : « Adieu Edgar Snow ». Voilà qu’un mois après le Dr Abdelaziz Khaldi était terrassé par une crise cardiaque, et ce billet était son dernier mot public.

Né en 1917 à Tébessa, le compagnon de lutte de Malek Bennabi fit ses études secondaires à Annaba et se déplaça ensuite en France (Toulouse) pour les poursuivre en médecine. En 1945 il les terminait, et après le sanglant mai 1945 il était jeté en prison pour avoir écrit un émouvant article dans lequel il condamnait le génocide. Rentré en Algérie en 1946 il exerça à Tébessa, Oum El-Bouaghi, El-Harrach puis Alger, dans les quartiers les plus populeux où il savait le peuple souffrir. La même année sortait son livre « Le problème algérien devant la conscience démocratique » où il décrivait le drame algérien face à la colonisation. Dès lors sa vie ne sera qu’une suite d’actions pour la cause algérienne, et en 1957 il devait quitter sa patrie pour le Maroc afin d’échapper à l’ordre d’arrestation lancé contre lui. Ses écrits dans ‘ « Egalité », la « République Algérienne », le « Jeune Musulman », etc, aiguisaient la conscience nationale et s’attaquaient aux agissements colonialistes.

Sans répit et avec acharnement le Dr Khaled se dressait contre l’oppresseur du pauvre. Il était toujours le premier à défendre l’Algérie ou l’islam. Son extrême sensibilité le faisait réagir avec force et grandeur. ‘’Il avait l’attitude de Voltaire devant les injustices et les réactions de Charles Maurras pour son pays’’. C’est en ces termes que l’a toujours défini son ami de vingt-sept ans, Mimouni Hedroug, et c’est pour cela que même ses adversaires français ont pour lui la plus grande estime. Il faut avoir connu ce grand homme pour sentir le poids de son absence, il faut l’avoir approché pour comprendre ce qu’est un attachement pour une cause. Un demi siècle de dévouement, d’expérience et de culture dort aujourd’hui à Sidi M’hamed ; un pilier de l’Algérie est tombé avec lui. Mais nous le redresserons en continuant la mission qu’avait servie le disparu. D’autres bras se lèveront pour s’opposer aux ennemis de la cause des humbles.

Depuis le fatal dimanche, la vie s’est assombrie pour beaucoup de personnes. Les unes ont perdu un chef de famille, les autres un ami, un bienfaiteur ou un guide, mais toutes communient dans la même douleur, unies par la mort d’un juste qu’une plaque commémorative au bout d’une rue ou sur une place publique immortalisera dans la mémoire du peuple qu’il a aimé et défendu.

« L’Algérien en Europe », mai 1972

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