JUDAISME CONTRE SIONISME

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« Le sionisme dispose d’une arme psychologique plus efficace que toutes les bombes atomiques du monde : l’accusation d’antisémitisme qu’il lance contre tous ceux qui l’attaquent » (E. Lévyne)

« Les causes de l’antisémitisme ont toujours résidé en Israël et non chez ceux qui le combattirent » (B. Lazare)

En 1969 les éditions Cujas publiaient dans leur collection « monographies » « Judaïsme contre sionisme » d’Emmanuel Lévyne. Ce livre se présente sous la forme d’un ensemble de documents réunis par l’auteur et qui sont pour la plupart des extraits de penseurs juifs, des textes religieux, des articles de presse, des échanges de correspondances, etc.

E. Lévyne, qui est un intellectuel juif d’une grande culture et d’une grande foi religieuse, lance un appel désespéré à la conscience juive menacée par ce qu’il appelle la « sionisation du judaïsme ». C’est le cri sincère d’un homme qui vit profondément l’impasse tragique de l’histoire de son peuple.

Lévyne a peur. Derrière cette peur, il y a un sentiment de culpabilité collective vis-à-vis des Palestiniens chassés de leur légitime patrie, mais aussi et surtout un sentiment de perdition, d’anéantissement, qui le fait réagir comme l’homme en danger qui n’est plus animé que par sa volonté de conservation : « Le sionisme représente le plus grave danger qui ait jamais menacé l’existence du peuple juif et du judaïsme, il est la fin du peuple juif sans point d’interrogation » (p. 153). Sans doute fait-il allusion au livre de son coreligionnaire Georges Friedman (« Fin du peuple juif ? »).

Lévyne ne s’élève pas contre Israël parce qu’il est un Etat-monstre préfabriqué, une machination de l’Occident, mais parce qu’il est une « hérésie » du point de vue de sa religion. Il le juge et le condamne en sa qualité de « pêché impardonnable ». Son problème n’est pas une situation politique de fait, mais l’avenir culturel et spirituel d’une communauté qui ne doit pas, par obéissance à la Thora (la Loi sacrée), avoir de territoire propre car ce serait l’enfermer entre des frontières et la limiter. Il tire la sonnette d’alarme et dénonce désespérément « l’erreur ».

La notion d’Etat est une erreur, une antinomie, une aberration, un déni franc de l’esprit du judaïsme pour qui c’est agir contre la souveraineté divine que de songer à la création d’un Etat, c’est-à-dire d’une souveraineté humaine ne pouvant coexister avec la première car l’une est la négation de l’autre. Samuel (prophète juif) avait averti le peuple juif qu’il subirait les conséquences de cette erreur. Il lui avait prédit « la servitude et la guerre » (p.29).

L’auteur reprend un à un les principaux arguments « justifiant » l’entreprise sioniste et les récuse sur la base des textes sacrés, expliquant ainsi à la conscience humaine que sa religion ne doit pas être identifiée à la politique nazie de ses coreligionnaires impérialistes : « C’est de l’antisémitisme que de faire croire à l’humanité que le judaïsme autorise la guerre et prêche la lutte armée ».

Il plaide la cause qu’il a à cœur et cite le verset de l’Ancien Testament que le sionisme utilise pour excuser le génocide auquel il a soumis les Palestiniens : « Vous conquerrez le pays et vous vous établirez car c’est à vous que je le donne à titre de possession… Si vous ne dépossédez pas à votre profit tous les habitants de ce pays, ceux que vous aurez épargnés vous harcèleront sur le territoire que vous occupez ».

Et Lévyne de commenter : « Telle est l’exégèse littérale, simpliste, anti-rabbinique et anti-cabbalistique qui permet aux sionistes comme aux nazis de commettre leurs génocides » (p.40).

Au nom de l’orthodoxie, au nom de la justice et de la liberté, Lévyne accuse Israël d’antisémitisme et de volonté de destruction de l’élément juif : « Défendre l’Etat d’Israël, c’est en réalité faire preuve d’antisémitisme » (p.20) s’écrie-t-il avec indignation devant les réalités des lendemains de la guerre de Six jours.

Dans une lettre adressée à Georges Montaron, directeur du journal « Témoignage chrétien », il écrit : « Si telle est la volonté de fonder un Etat du peuple, cela le regarde et c’est une affaire entre Dieu et  lui. Mais imposer sa souveraineté, son Etat à un peuple étranger, cela n’est pas défendable ; c’est une injustice au plein sens du terme ; c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le colonialisme… D’après l’Histoire, les premiers propriétaires de la Palestine furent les peuples cananéens qui ont été exterminés ; en conséquence, les juifs ne peuvent revendiquer la Palestine qu’en tant que conquérants et colonisateurs » (p.29).

« Judaïsme contre sionisme » est un combat du religieux contre le politique, du salut de l’âme contre la tentation de puissance, de l’avenir spirituel contre l’avenir temporel. Il est un manifeste du pouvoir de l’idée. Emmanuel Lévyne s’engage et lutte pour la cause de Yahvé, de la Thora, du « peuple élu », et c’est le risque qu’il court à cette heure pense-t-il avec conviction. Le sionisme, pour survivre, a mobilisé le fanatisme juif en l’entretenant par le mythe de l’antisémitisme et en faisant croire que c’est une « mitsva » (devoir religieux) que de violer la paix et la justice en ajoutant le mot Palestine à Auschwitz et Hiroshima.

Voici le texte d’un exemple d’exhortation de la jeunesse juive lancé à travers le monde dans les années 1940 : « Appel à la jeunesse juive ! Si tu as honte d’être juif ; si tu cherches à te faire oublier ; si tu es persuadé d’avance que le judaïsme « ça n’est plus intéressant à notre époque d’électricité et de TSF » ; si tu crois à toi seul détenir toute la vérité ; si tu méprises ceux qui professent un judaïsme différent du tien ; RESTE SEUL ! Mais si tu cherches et si tu as envie de savoir pourquoi et comment, après des milliers d’années nous les juifs sommes toujours là ; si tu crois que le judaïsme « ça doit tout de même être quelque chose », VIENS AVEC NOUS, RESTE AVEC NOUS ! »

Cet assaut de fanatisme racial et religieux, ce débordement de haine et d’ardeur, Lévyne les dénonce : « Le sionisme en tant qu’idéologie politique est une émanation et un transfert juif du jeune nationalisme allemand » (p.19) écrit-il en rappelant, en passant, que Théodore Herzl, le « père » d’Israël, est Autrichien et, plus loin : « C’est le sionisme qui a introduit le nationalisme racial dans le judaïsme ». Les juifs ne doivent pas s’organiser en Etat, insiste l’auteur, et illustre cette idée centrale de son ouvrage par la citation d’un historien juif, S. W. Baron : « Les juifs ne possédèrent d’Etat propre que pendant une période relativement courte. Graduellement la nation s’émancipa de l’Etat et du territoire… Le peuple, sans posséder ni Etat, ni territoire, au temps de Moise, était alors nettement plus heureux » (« Histoire d’Israël »).

La nation juive, en effet, n’avait pas tenu une grande place dans le monde ancien. C’est seulement du jour de la destruction de la patrie qu’elle avait conquise que date l’époque de sa gloire et de sa prospérité au sein des autres nations. Comment se pourrait-il donc que les juifs n’aient pas compris qu’ils ne sauraient être heureux « chez eux », entre des frontières et vivant en société organisée ?

Lévyne pose la question et y répond en même temps : pour éviter d’arriver un jour à s’entre-tuer, les juifs doivent abandonner Israël. Pour que la division ne vienne pas à régner entre eux, ils doivent fuir l’Etat maudit édifié sur la chair et le sang des victimes. Les enfants d’Israël (« Israël » signifie « force » ; c’est un autre nom de Jacob) dispersés parmi les nations étrangères ont toujours été fraternellement unis.

Décortiquant les sens du mot « sion » qui a donné « sionisme », Lévyne apporte la précision suivante : Sion veut dire littéralement « signe », « symbole ». Les partisans de la création d’un Etat en ont sciemment fait un concept politique signifiant « terre », la terre à « reconquérir ». Pour les rabbins (docteurs de la foi juive) « sion » est un concept spirituel, et tout homme ou tout lieu qui se signale par sa piété est appelé « sion ». Le retour à « sion » n’est donc que le retour à la pureté. C’est pourquoi « tout révolutionnaire doit bien voir que la destruction de l’Etat sioniste est le plus court chemin de la révolution mondiale. On ne détruira pas l’impérialisme sans détruire l’Etat sioniste. Lui assurer le droit à l’existence, c’est assurer le droit de survie au capitalisme, à l’impérialisme, au colonialisme » (p.215).

Tel est l’idéal de cet intellectuel persécuté par les siens et qualifié de « traitre ». Lui qui voit plus loin que ses coreligionnaires, lui qui se soucie de la pérennité éternelle qui doit être assurée à sa religion plus que de l’avenir d’un Etat fantoche fait de toutes pièces et appelé à disparaître : « C’est la culture et la religion qui créent les différenciations nationales, tandis que l’Etat et le nationalisme sont des facteurs et des éléments d’assimilation et d’effacement des caractères originaux des peuples » (p.66).

Or lui, Lévyne, craint l’assimilation et l’intégration car le peuple juif ne conserverait ses caractéristiques que dans la dispersion, tant il est vrai qu’ « un attachement n’a de force que s’il s’affirme contre quelque chose » (S. de Beauvoir). Il refuse l’Etat criminel et hérétique d’Israël et préconise l’édification d’un Etat multinational qui soit gouverné par ses légitimes possesseurs, les Palestiniens, et dans lequel les juifs pourraient cohabiter à titre de groupement humain et, cette idée, nul ne l’ignore, se trouve au premier plan dans l’idéologie de la révolution palestinienne.

« El-Moudjahid » du 02 février 1972

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