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LE BON, LA PRESSE ET LE TRUAND

by admin

Soupirons et rechignons, la nature est capricieuse. Elle exauce et déçoit qui elle veut ; avec elle on ne tisse pas le « ktef » et ainsi va le monde. Dans la variété humaine, et entre autres, il y a ceux qui aiment qu’on parle d’eux, qu’on les fasse connaître, qu’on voie leur photo sur le journal, etc, et ceux qui préfèrent la discrétion, l’ombre et l’anonymat. Les uns aspirent aux « hauteurs », les autres cherchent la tranquillité. Les premiers peuvent être des artistes, des commerçants, des commères ou des narcisses…Pour des raisons professionnelles, économiques, psychologiques ou autres, la célébrité leur est nécessaire. Seulement, et c’est là qu’apparaît le côté plaisantin du cours des choses, elle ne leur est pas royalement accordée, ce qui a pour don de les mécontenter. Quant aux seconds, ils peuvent être des fonctionnaires spéciaux, des modestes par nature, des solitaires endurcis ou des …truands. Pour eux, qui détestent et fuient la publicité, ils en bénéficient quant même de temps à autre bien que le cœur n’y soit pas.

Le truand ne sautera jamais de joie en voyant sa bonne bouille livrée par l’indiscrétion d’un journal aux appréciations d’autrui. Il sait qu’il n’a pas à espérer des lettres de sympathie. Malgré cela, et à quelques exceptions près,  tous les journaux tiennent à honorer cette gente et lui ouvrent volontiers leurs pages. Il faut avouer que le public lui non plus ne refuse pas le régal. Les goûts étant indiscutables, il faut admettre ceux des gens qui raffolent des énigmes policières, des scandales et du sensationnel. D’ailleurs il y a une presse qui s’y est spécialisée, connaissant les petits points faibles de ce grand enfant  de public, et ne s’en tire pas mal à ce qu’il paraît (il y en a qui tire à un million d’exemplaires par jour). Bref, les faits sont là et on n’y peut rien.

Arrivons maintenant à notre fait à nous. Informer l’opinion publique des arrestations de malfaiteurs, des « coups de filet », des enquêtes réussies, serait une très bonne chose en soi, si cette noble intention n’avait pas un autre tranchant. Si elle témoigne des efforts de la sûreté nationale, si elle vient rassurer un peu les honnêtes citoyens, elle crée parallèlement un certain esprit, un certain climat, qui n’est point fait pour réconforter. En parlant presque quotidiennement de vols, d’agressions, de trafic de drogue, de détournement de mineurs, en présentant les sinistres photos de leurs auteurs, l’information engendre, encourage, installe une sorte de méfiance, de scepticisme, d’aigreur, voire même une psychose (le mot peut être trop fort) chez beaucoup de gens : ceux qui habitent dans un endroit retiré, les familles dont le père travaille la nuit, les femmes en déplacement, les taxieurs en service nocturne, les étrangers séjournant, ceux qui ont à effectuer des retraits d’argents, etc . L’émotion, le choc, la crainte, la défaillance, la peur injustifiée, et tout ce genre de sentiments, perturbent insensiblement l’équilibre psychologique, ceci d’une part. D’autre part, il y a les intéressés par le phénomène (commun à toutes les sociétés) qui exagèrent sciemment en dissertant sur la « croissance » de la criminalité, l’ « inquiétante » évolution de la délinquance, la « faillite » morale, la « corruption » de la société algérienne… Et ils extrapolent cela à d’autres considérations.

Essayons maintenant d’inverser le problème et de penser à l’esprit qui présiderait en général, aux impressions confiantes, à l’optimisme, à la quiétude de ces gens si, au lieu de lire le compte rendu d’un méfait, ils lisaient celui d’un haut fait, d’une action charitable, d’une assistance à personne en danger, d’un objet de valeur perdu, retrouvé et restitué, d’un orphelin recueilli et adopté par une famille, etc. Les bonnes actions ne manquent pas dans la vie généreuse de notre nation, heureusement. Je crois que le public sourirait plus sincèrement, qu’il ressentirait secrètement une chaleur humaine, une confiance en la bonté de l’autre, une espérance qui contrebalancerait les misères de la quotidienneté. Un climat autre s’établirait. Une autre psychologie déterminerait les comportements. Les motivations deviendraient moins égoïstes et la fraternité se traduirait en actes de tous les instants.

Le conditionnement du milieu social est capital pour la bonne marche d’une Révolution qui a besoin d’un véritable assainissement culturel pour forger les hommes qui la mèneront au succès. Les bienfaits sont mieux reçus, plus suivis et plus influents sur les mentalités que la condamnation d’un délit. En ouvrant un journal, on aimerait mieux trouver une photo accompagnée d’un « cet homme a fait du bien » que de l’habituel « cet homme est un escroc ».

En nettoyant le monde des idées d’une société, en imprimant sur son front le sens du bien, elle enfanterait moins de mal, moins de crimes et moins de haine. Et dans cette société on ne risquera pas de rencontrer un deuxième DIOGENE (1) qui parcourrait les rues en plein midi, tenant une lanterne et répétant : « Je cherche un homme, un homme honnête ».

« El-Moudjahid » du 24 novembre 1971

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